OEIL ET HTA

La transparence des milieux oculaires et l’innocuité de l’examen du FO permettent en routine, un examen précis (quasi histologique !).de l’importance de l’artériosclérose des vaisseaux rétiniens. L’examen de la microcirculation rétinienne, fréquemment touchée au cours de l’HTA est ainsi facile et utile afin de juger de l’efficacité du traitement en jugeant la répercussion sur la microcirculation en particulier rénale ou cérébrale.

1 – Rappel physiopathogénique

La rétine est vascularisée par l’artère centrale de la rétine, qui provient de l’artère ophtalmique, branche de l’artère carotide interne.
Anatomiquement, l’artère centrale de la rétine se divise, au niveau de la papille, en 4 branches (artères rétiniennes temporales sup et inf, et nasales sup et inf) qui se divisent en réseau terminal, non anastomotique. Lors d’un croisement entre une branche artérielle et une branche veineuse (habituellement, l’artère passe sur la veine), elles sont englobées dans un manchon d’adventice commun.
La vascularisation rétinienne présente deux particularités : l’existence de « tight junctions » étanches entre les cellules endothéliales vasculaires (c’est la barrière hémato-rétinienne interne), et l’absence d’innervation vasculaire sympathique et parasympathique (qui s’interrompent au niveau de la lame criblée). Ainsi, le débit sanguin rétinien est régi par un système d’autorégulation locale afin de maintenir un débit constant : en cas d’HTA, il y a vasoconstriction rétinienne, et en cas d’hypotension, il y a vasodilatation.
Parfois, ce système d’autorégulation peut être dépassé en cas d’HTA importante, et entraîner une vasodilatation, et une perméabilité vasculaire responsable, premièrement, d’une diffusion des éléments sanguins dans la rétine par rupture de la BHR (oedème, exsudats, hémorragies), et deuxièmement, d’une occlusion vasculaire (ischémie, exsudats cotonneux).
2 – Diagnostic positif
 
La « rétinopathie hypertensive » regroupe les signes vrais liés à l’HTA, et les signes liés à l’artériosclérose.
Elle est très fréquente, bilatérale, et longtemps asymptomatique.
Le diagnostic de la rétinopathie hypertensive est un diagnostic clinique +++.
Il est généralement posé dans un contexte évocateur, par exemple lors d’un examen systématique de bilan d’HTA, beaucoup plus rarement en cas de complication, occlusion veineuse rétinienne ou HTA maligne.
L’examen du FO au biomicroscope après dilatation pupillaire (V3M, ophtalmoscopie directe ou indirecte) suffit, avec l’interrogatoire et la prise de TA systolique et diastolique, à affirmer le diagnostic.
Les rétinographies (photos du FO), facultatives, permettent le suivi et l’évolution de la rétinopathie hypertensive.
L’angiographie à la fluorescéine, permet de peaufiner le diagnostic différentiel, et de préciser les complications de la rétinopathie hypertensive.
 

 
 
 
Remarque : l’ophtalmodynamométrie pour la mesure de la tension de l’artère centrale de la rétine (normale 30 g) est désormais un examen obsolète, et sans application clinique.

 
Pour les savants, on note, en observant le FO, et en appuyant l’ophtalmodynamomètre (« le brassard ») sur l’œil, sous anesthésie locale, la pression à appliquer pour déclencher (#30 g = pression diastolique) et pour interrompre (# 70 g = pression systolique) les battements pulsatiles de l’artère centrale de la rétine, à son émergence au niveau de la papille.

Il convient de distinguer les signes de l’HTA, et les signes de l’artériosclérose.

 

1 – Classifications

Dans chaque classification, un stade associe les signes des stades précédents à ses signes propres.

1 – 1Classification de Keith et Wagener (1939), en 4 stades
·stade I : rétrécissement artériel diffus
·stade II :signe du croisement
 
 
accentuation du reflet artériel (jaune orangé, cuivré, au lieu de rose)
artères rétiniennes sinueuses

·stade III:  (HTA sévère) :rétrécissement artériel localisé
 
 
 
hémorragies rétiniennes
exsudats durs e t cotonneux

·stade IV:  (HTA maligne) :
 
 
 
oedème papillo-rétinien

Cette classification est simple, classique, mais présente l’inconvénient de mélanger les signes liés à l’artériosclérose (signe du croisement…) et les signes de l’HTA (rétrécissement artériel diffus, exsudats cotonneux…).

1 – 2 : Classification de Kirkendall +++(1975), en 3 stades :
Elle distingue les signes de l’HTA et les signes de l’artériosclérose.

Stade

HTA

Artériosclérose

Stade I

Rétrécissement artériel diffus

Signe du Croisement

Stade II

Exsudats Cotonneux

Hémorragies

Rétrécissement artériel localisé

Stade III

Oedème papillaire

Préthrombose ou thrombose vasculaire

Engainement artériel

Moyen mnémotechnique

« RECHO »

« CREPE »


 
 

 
 
 
Cette classification devrait supplanter l’ancienne classification de Keith et Wagener, car elle permet de mieux apprécier le mécanisme physiopathogénique de l’atteinte rétinienne, et de reconnaître les HTA dont le traitement est urgent.


 
 

2 – Signes de l’HTA :

 

2 – 1 : Rétrécissement artériel diffus (HTA bénigne)

 
 
Il s’agit du signe rétinien le plus précoce de l’HTA. En relation avec le système d’autorégulation du débit artériel rétinien (cf. physiopathogénie), son appréciation clinique au FO est délicate. Habituellement, chez un sujet normotendu, le rapport diamètre rétinien artériel / veineux est de 2/3, ici, la comparaison montre des artères de diamètre encore plus inférieur à celui des veines.

 
 
 
 

 


2 – 2 : Exsudats cotonneux (ou nodules cotonneux, ou nodules dysoriques)

Ils sont représentatifs de la gravité, et/ou de l’évolution de l’HTA et du dépassement du système d’autorégulation.

Non spécifiques (cf. diabète), ils sont liés à une accumulation de matériel axoplasmique dans la couche superficielle (interne) des fibres optiques, du fait d’une ischémie rétinienne localisée.
Ils se présentent sous la forme de flocons duveteux, blancs, superficiels (en avant des vaisseaux rétiniens), situés habituellement au pôle postérieur, autour de la papille. On relèvera leur nombre et leur localisation (+/- rétinographie).
En angiographie, on observe la zone d’ischémie rétinienne en aval d’une occlusion artériolaire.
Les exsudats cotonneux respectent habituellement l’acuité et disparaissent en quelques mois sans laisser de séquelles.

2 – 3 : Hémorragies

Elles traduisent la perméabilité de l’endothélium vasculaire, par diffusion du contenu vasculaire (rupture de la BHR). On peut les retrouver dans l’HTA sévère ou en cas de complication (OVCR…).

Elles sont habituellement multiples, localisées au pôle postérieur, autour de la papille et des vaisseaux temporaux.
Elles sont le plus souvent intrarétiniennes, superficielles, dans la couche des fibres optiques, ce dont rend compte leur forme en flammèche, striée. Mais elles peuvent être de tout type : ponctuées, pré ou sous rétiniennes…
Les hémorragies respectent habituellement l’acuité et régressent spontanément.
 

 
 
 

2 –4 : Exsudats secs (ou durs, ou lipidiques)

Ils sont la conséquence tardive de la rupture de la BHR, et de l’oedème rétinien associé. Ils sont composés de lipides, de fibrine et de macrophages accumulés dans les couches profondes de la rétine.

Les exsudats secs sont de petites plages jaunâtres, profondes, bien limitées, multiples, se situant au pôle postérieur, avec parfois une disposition maculaire en étoile : c’est l’exsudat circiné, ou stellaire.
Ils ne sont pas visibles en angiographie, mais sont réfringents en lumière bleue sans injection.
Ils régressent spontanément, mais plus lentement que les exsudats cotonneux et les hémorragies.


 

 
 
 

 


2 – 5 : Oedème papillaire

Typiquement bilatéral, l’oedème papillaire de l’HTA se présente sous la forme d’une papille surélevée, en relief, avec une dilatation capillaire, et une congestion veineuse. Comme l’oedème papillaire de l’HIC, il n’a classiquement pas de retentissement sur l’acuité visuelle au stade initial. On peut néanmoins noter une BAV ou des altérations du champ visuel (élargissement de la tache aveugle) en cas de chronicisation.

L’angiographie à la fluorescéine affirme l’oedème avec une hyperfluorescence tardive, et permet le suivi évolutif. Rappelons qu’il n’est, comme les exsudats et les hémorragies, aucunement spécifique de l’HTA !
 

2 – 6 : Signes choroïdiens : choroïdopathie hypertensive

Liés à l’HTA aiguë isolée et brutale, souvent chez le sujet jeune, ils s’observent sous la forme de petites taches jaunes sous rétiniennes avec un centre pigmenté (oedème de l’épithélium pigmentaire et des photorécepteurs sus jacent à une ischémie choroïdienne localisée) fréquemment associées à un décollement séreux rétinien, voire à un décollement rétinien exsudatif régressif (toxémie gravidique). 

L’angiographie à la fluorescéïne montre un retard de perfusion choroïdien, une ischémie choroïdienne, un remplissage tardif du DSR.
Au stade séquellaire, on peut noter des taches d’Elschnig pâles, arrondies, sous rétiniennes, qui sont des cicatrices de l’épithélium pigmentaire ischémié.
 


 
3 – Signes liés à l’artériosclérose :
 

3 – 1 : Signe du croisement

 
 
En cas d’artériosclérose, l’artère sus-jacente à la veine, comprime celle-ci (manchon d’adventice commun), ce qui la dilate en amont du croisement, la rétrécit au niveau du croisement, et déforme son trajet normalement rectiligne « en baïonnette » : c’est le signe du croisement.
En angiographie, on observe une perte du flux laminaire en aval du croisement.
Dans l’artériosclérose sévère, le croisement peut évoluer vers un signe de préthrombose veineuse (de Bonnet et Paufique) avec apparition d’hémorragies par suffusion à partir de la portion d’amont dilatée.
 

3 – 2 : Rétrécissement artériel localisé

L’artériosclérose est responsable de rétrécissements segmentaires des artères rétiniennes, ainsi que d’un aspect artériel rigide, rectiligne. La couleur des artères, habituellement rosée, devient jaune orange, « cuivrée ». A un stade avancé, on peut observer un engainement blanc des artères, voire un aspect d’artères blanches ; ce sont les artères en fil d’argent.

3 – 3 : Préthrombose ou thrombose artérielle ou veineuse

 
 
 
La préthrombose est l’évolution du signe du croisement (cf. supra).
Les thromboses sont des complications fréquentes, et souvent graves, de l’artériosclérose rétinienne (et non de l’HTA), qui peuvent laisser des séquelles visuelles.
Il s’agit des thromboses veineuses rétiniennes, des thromboses artérielles rétiniennes, des thromboses de la tête du nerf optique (neuropathie optique ischémique antérieure = NOIA).
On observe également des macroanévrysmes rétiniens par ectasie de la paroi artérielle, qui peut entraîner une hémorragie ou un oedème rétinien.

3 - Évolution : 

Avec un traitement efficace de l’HTA, les signes de la « rétinopathie hypertensive » liés à l’HTA isolée régressent en quelques semaines.
Malgré le traitement de l’HTA, les signes liés à l’artériosclérose persistent et peuvent être à l’origine de complications.
Complications :
·Thrombose artérielle rétinienne.
·Thrombose veineuse rétinienne.

 
 
 
Neuropathie optique ischémique antérieure évoluant vers l’atrophie optique :
·Complications des macroanévrysmes (oedème, hémorragie).
et surtout :
·Complications générales de l’HTA +++

4 - Traitement :

Le traitement est étiologique : il s’agit du traitement de l’HTA.
En cas de tableau de rétinopathie hypertensive maligne (stade IV de Keith et Wagener ou stade III de Kirkendall) avec oedème papillaire et rétinien, exsudats, hémorragies, et HTA majeure, le traitement de l’HTA (TA > 20 / 14 = HTA maligne) est urgent, de même que le traitement d’une toxémie gravidique (déclenchement…) ; (remarque : l’angiographie à la fluorescéïne n’est pas CI pendant la grossesse).
Le traitement des complications (TVCR, TACR…) est souvent palliatif et décevant.

INTÉRÊT DU DIAGNOSTIC DE LA RÉTINOPATHIE HYPERTENSIVE

Évidemment, l’examen ophtalmologique au cours du bilan de découverte d’une HTA avérée ne doit pas retarder le traitement de l’HTA. Toute HTA doit être bilantée et traitée !

Cependant, la transparence des milieux oculaires et l’innocuité de l’examen du FO permettent en routine, un examen précis de l’importance de l’artériosclérose des vaisseaux rétiniens (quasi histologique !).
L’importance des signes liés à l’HTA chez un hypertendu sans artériosclérose doit faire craindre un atteinte rénale.
La présence de signes de préthrombose entraînera une surveillance accrue et un traitement préventif afin d’empêcher la survenue d’une thrombose veineuse.
L’examen du FO permet ainsi de préjuger de l’état vasculaire général et cérébral.

Ultimo aggiornamento: 20 novembre 2004