Alexandrie espère en un retour aux sources

un article paru sur Le Monde du 25 décembre 2003, de Alexandre Buccianti

    La citerne al-Nabih, véritable cathédrale souterraine, sera ouverte au public, dans une volonté de revaloriser ce patrimoine caché.

    La ville d'Alexandrie semble sortir de sa catalepsie. Il y a dix ans, la plus grande métropole de l'Antiquité semblait se résigner à son sort de cité provinciale où rien ne se passe plus. Pour son renouveau, elle a décidé d'un retour aux sources, privilégiant la mise en valeur de son patrimoine. Un pari qui a pu être lancé grâce à un concours de circonstances et à la volonté de trois personnalités : le général Abdel Salam Al-Mahgoub, gouverneur d'Alexandrie, Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil national des antiquités, et l'archéologue Jean-Yves Empereur.

    Symbole du réveil d'Alexandrie, l'ouverture au public de la citerne al-Nabih. Un projet visant à illustrer le surnom de "Ville aux mille citernes" qui avait été donné à Alexandrie : dès sa fondation en 331 av. J.-C., la ville avait dû pallier son éloignement du fleuve-dieu Nil par un subterfuge, la création d'immenses réservoirs souterrains. Lors de la crue du fleuve, en août-septembre, un canal relié à la branche canopique du Nil remplissait les citernes. Avec l'extension de la ville, les réservoirs se sont multipliés. Au-delà de leur aspect utilitaire, les citernes sont devenues, au cours des siècles, des lieux de visite pour les voyageurs, venus admirer ces cryptes monumentales dont certaines sont restées utilisées jusqu'en 1896.

    La citerne al-Nabih est une de ces cathédrales souterraines, conjuguant grâce et équilibre avec ses trois étages de colonnades entrelacées. Creusée sous la dynastie toulounide, au IXe siècle, dans le calcaire tendre du sous-sol alexandrin, la construction témoigne du réemploi harmonieux de colonnes gréco-romaines ou byzantines. Située sous les jardins de Chalalat, au centre d'Alexandrie, la citerne, restaurée dans les années 1950, n'a jamais été ouverte au public, notamment à cause de la difficulté d'accès. Seule une fenêtre située au troisième étage permettait d'entrevoir le monument - sans que la perspective étroite donne la mesure de sa splendeur. Pour aller plus loin, il fallait jouer au saltimbanque sur une échelle de corde. De quoi refroidir bien des esthètes !

    Deux architectes du Centre d'études alexandrines (CEA), dirigé par Jean-Yves Empereur, chercheur au CNRS, se sont lancés dans l'étude d'un projet permettant de faciliter la visite de la citerne. Laurent Borel et Chrystelle March ont conçu un parcours sur des passerelles suspendues en fibre de carbone, par lesquelles les visiteurs pourront accéder aux différents étages.

    A leur sortie, ils découvriront un musée qui présentera des maquettes de plusieurs autres citernes alexandrines. Des panneaux, des bornes interactives et des films expliqueront comment les Alexandrins captaient et stockaient l'eau durant vingt-trois siècles. Le musée prévoit aussi un module éducatif s'adressant aux jeunes et visant à les sensibiliser aux enjeux de l'eau. Une question cruciale en Egypte : si la croissance démographique se poursuit, les Egyptiens atteindront en 2020 le seuil de pauvreté en eau, situé à moins de 500 m3 par habitant et par an. Le projet, approuvé par les autorités égyptiennes, a été signé à Paris le 16 décembre, avec le CEA et le concours de la Fondation Gaz de France. L'entreprise a ainsi décidé de prolonger ses investissements en Egypte par du mécénat culturel en soutenant le projet de la citerne al-Nabih.

    Parallèlement à celui de la citerne al-Nabih, d'autres projets culturels sont prévus à Alexandrie. Un musée de la mosaïque doit être construit près de la statue d'Alexandre le Grand, à Bab Charqi. Il exposera les mosaïques découvertes sur le site de la Bibliotheca Alexandrina par le CEA ainsi que des dizaines d'oeuvres entassées les unes sur les autres au Musée gréco-romain. Ce dernier n'échappera pas, lui non plus, à la vague de grands travaux. Fermé à la fin de l'année pour permettre la construction d'un second étage, il devrait bientôt présenter aux visiteurs un plus grand nombre d'objets dans de meilleures conditions.

    En attendant que tous ces projets soient terminés - dans près de deux ans -, un nouveau site a ouvert ses portes cet été : le Musée national d'Alexandrie. Situé à l'emplacement de l'ancien consulat américain, il retrace d'étage en étage les riches étapes de l'histoire d'Alexandrie : sous-sol égyptien, rez-de-chaussée gréco-romain et premier étage médiéval allant jusqu'à Mohamed Ali, le fondateur de l'Egypte moderne.

    Mais la principale attraction culturelle d'Alexandrie est aujourd'hui la Bibliotheca Alexandrina (BA), inaugurée il y a un peu plus d'un an. De novembre 2002 à août 2003, ses bâtiments, musées et expositions permanentes ou itinérantes ont attiré 200 000 visi-teurs, dont près de 30 000 étrangers (surtout des Français mais aussi des Italiens, des Espagnols, des Américains, des Anglais, des Danois, des Allemands, des Grecs, des Saoudiens et des Libanais), sans compter les quelque 1 200 utilisateurs quotidiens de la bibliothèque. Cela en fait pratique- ment le principal site touristique d'Alexandrie.

    Sous la direction d'Ismaïl Sérageldin, qui voulait en faire "un pôle d'excellence", la Bibliotheca Alexandrina semble en voie de réussir ce pari. En un an, elle a en effet accueilli 171 expositions, concerts, conférences et colloques. Le dernier en date, organisé par le Centre d'études et de documentation économique, juridique et sociale (Cedej) et le Centre culturel français d'Alexandrie, était intitulé "Alexandrie, regards sur la ville, patrimoine et urbanités à l'épreuve de l'espace public". Un colloque touchant à l'éternel problème d'Alexandrie : comment conjuguer culture et développement sans que l'un ne se fasse au détriment de l'autre.

    La volonté d'Ismaïl Sérageldin de faire de la Bibliotheca Alexandrina "un espace d'ouverture et de tolérance" s'est heurtée aux intolérances. Des islamistes ont protesté contre la présence des Versets sataniques de Salman Rushdie à la bibliothèque. Plus tard, ils ont applaudi l'exposition d'un exemplaire restauré de la première édition arabe du livre antisémite Les Protocoles des sages de Sion. Ismaïl Sérageldin a aussitôt fait retirer l'ouvrage et a ouvert une enquête pour prendre des mesures disciplinaires contre le coupable.

    Reste à savoir si les différents projets muséographiques et la montée en puissance de la Bibliotheca Alexandrina permettront, dans deux ou trois ans, de replacer Alexandrie sur la carte du tourisme culturel. Actuellement, elle n'attire que des touristes étrangers de passage qui y restent rarement la nuit. Alexandrie atteindra-t-elle la masse critique nécessaire qui lui fera retrouver un cosmopolitisme touristique ?

 

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