SAINT
BASILE LE GRAND
LES
PETITES RÈGLES
~ 8 ~
Qu. 278 : Comment l'esprit de quelqu'un peut-il prier et son intelligence rester sans fruit ?
R.
: Cela concerne ceux qui récitent des prières dans une langue inconnue des
auditeurs. L'Apôtre dit en effet : "Si je prie en langue, mon esprit
est en prière, mais mon intelligence reste stérile" (1 Cor 14 :14).
Lorsque
les termes de la prière sont inintelligibles pour les assistants,
l'intelligence de celui qui prie ne porte pas de fruits, puisque personne n'en
retire d'utilité, mais lorsque les assistants comprennent la prière
susceptible de faire du bien à ses auditeurs, alors celui qui prie a pour fruit
les progrès de ceux qu'il aide.
Il
en est de même pour toute proclamation des paroles de Dieu, car il est écrit :
"Si une parole est bonne, qu'elle serve à l'édification de la foi" (Eph
4 :29).
Qu.
279 : Que signifie : "Psalmodiez intelligemment ? (Ps 48 :8)
R.
: Ce qui est, quand il s'agit des aliments, la faculté de percevoir la qualité
de chacun d'eux, est, lorsqu'il s'agit des paroles de la Sainte Écriture,
l'intelligence. "Le gosier, est-il dit, goûte la nourriture et
l'intelligence apprécie les paroles" (Job12 :11 (LXX)) Ainsi, lorsqu'on
a l'esprit disposé de façon à percevoir la valeur des mots comme le gosier la
qualité de chaque aliment, on a accompli le commandement : "Psalmodiez
intelligemment".
Qu.
280 : Qui a le coeur pur ? (Mt 5 :8)
R.
: Celui qui ne s'est pas surpris lui-même à violer, à omettre ou à négliger
un commandement de Dieu.
Qu.
281 : Faut-il forcer celle qui ne veut pas psalmodier ?
R.
: Si elle ne va pas volontiers à la psalmodie, si elle n'a pas présente cette
disposition de celui qui a dit : "Comme vos paroles sont savoureuses
à mon gosier et plus douces que le miel à ma bouche" (Ps 118 :103),
et si elle ne regarde pas sa paresse comme un grand dommage pour elle, il faut
la corriger ou la renvoyer, de peur qu'un peu de ferment ne corrompe toute la pâte.
(Gal.5 :9)
Qu.
282 : Qui sont ceux qui disent : "Nous avons mangé devant vous,
et nous avons bu" et s'entendirent répondre : "Je ne vous
connais pas" ? (Lc 12 :26-27)
R.
: Ceux-là, peut-être, que désigne l'Apôtre en parlant de lui-même :
"Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges..." et
la suite, "et quand j'aurais une science complète, une foi totale, et
quand je distribuerais tous mes biens cela ne me sert à rien" (1 Cor 13 :1-3).
Il l'avait appris du Seigneur qui avait dit de certains : "Ils
agissent pour être vus des hommes, mais je vous le dis, ils ont reçu leur récompense"
(Mt 6 :2).
Ce
que l'on fait, non par amour de Dieu, mais pour la louange des hommes, quelle
qu'en soit la qualité, ne reçoit pas l'éloge dû à la piété, mais encourt
le reproche de respect humain, de suffisance, de rivalité, d'envie ou autre défaut
identique. Aussi le Seigneur donne-t-il à un acte de ce genre, le nom d'oeuvre
d'iniquité, car, à ceux qui disent : "Nous avons mangé devant
vous..." et la suite, Il répond : "Éloignez-vous de moi, vous
tous, ouvriers d'iniquité" (Lc 13 :26-27). Comment, en effet, ne
seraient-ils pas ouvriers d'iniquité", ceux qui ont usé des dons de Dieu
pour se procurer à eux-mêmes leurs propres plaisirs ? Tels étaient ceux
dont l'Apôtre dit : "Nous ne sommes pas comme beaucoup qui altèrent
la parole de Dieu" (2 Cor.2 :17), et encore "de ceux qui voient
dans la piété un moyen de profit" (1 Tim.6 :5) et beaucoup d'autres
choses semblables. De tout cela l'Apôtre nous affirme qu'il est pur lorsqu'il
dit : "Non comme ceux qui veulent plaire aux hommes, mais pour Dieu,
qui juge le fond de notre coeur. Car jamais nous ne sommes venus à vous avec
des paroles de flatterie, vous le savez, ni sous des apparences de cupidité,
Dieu en est témoin, et nous n'avons jamais cherché la louange des hommes, ni
de vous, ni d'autres" (1 Thess.2 :4-6).
Qu.
283 : Celui qui fait la volonté d'un autre, lui est-il associé ?
R.
: Si nous en croyons le Seigneur disant : "Quiconque fait le péché
est esclave du péché" (Jn 8 :34), et : "Vous avez le démon
pour père et vous voulez accomplir les désirs du démon" (Jn 8 :44),
nous savons qu'il n'est pas simplement l'associé de celui dont il fait la
volonté, mais que, selon le mot du Seigneur, il l'accepte pour maître et pour
père.
L'Apôtre
aussi en témoigne clairement : "Ne savez-vous pas qu'en vous
soumettant à quelqu'un pour faire sa volonté, vous êtes les esclaves de celui
à qui vous obéissez, soit du péché, pour votre mort, soit de l'obéissance,
pour votre justice ?" (Rom 6 :16)
Qu.
284 : Lorsqu'une fraternité tombe dans le besoin par suite d'une
circonstance fâcheuse ou de la maladie, ne se conçoit-il pas qu'elle soit aidée
par d'autres ? Et s'il le faut, de qui acceptera-t-elle ce secours ?
R.
: Celui qui se souvient des paroles du Seigneur : "Ce que vous avez
fait au moindre de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25 :40),
aura à coeur, et cela avec le plus grand zèle et le plus grand empressement,
de se rendre digne d'être appelé frère du Seigneur. Si quelqu'un se trouve
dans cette nécessité, qu'il n'hésite pas à recevoir, mais en soit
reconnaissant.
Cependant,
ce qu'il faut recevoir, quand et comment, c'est à celui-là d'en juger, à qui
aura été confié le soin de tous, et il se souviendra des paroles de David :
"L'huile des méchants ne touchera pas ma tête" (Ps 140 :5), et :
"Celui qui marche dans la voie droite, voilà celui qui me servira"
(Ps 100 :6).
Qu.
285 : Lorsqu'une fraternité traite une affaire avec une autre, doit-elle
être attentive à la compensation la plus juste ?
R.
: Je ne puis dire si l'Écriture permet qu'entre frères on vende et on achète
les uns aux autres, car nous avons appris à mettre en commun ce qui nous est
utile, selon qu'il est écrit : "Votre abondance doit suppléer à
leur détresse et leur abondance à votre pénurie, de façon à établir l'égalité"
(2 Cor.8 :14); mais si jamais telle nécessité survient, il faut que
l'acheteur veille à ne pas donner une compensation moindre que celle qu'a donnée
le vendeur lui-même. Tous doivent se souvenir de celui qui a dit :
"Il ne convient pas de faire tort au juste" (Pro 17 :26).
Qu.
286 : Lorsqu'un membre de la fraternité tombe malade, doit-on le conduire
à l'hôpital
R.
: Il faut tenir compte, en vue du bien commun, du lieu et du but poursuivi, pour
la gloire de dieu.
Qu.
287 : Quels sont les dignes fruits de la pénitence ?
R.
: Les oeuvres de justice opposées au péché, fruits que le pénitent doit
porter en conformité avec la parole : "Portant des fruits de toutes
sortes de bonnes oeuvres" (Col.1 :10).
Qu.
288 : Si quelqu'un veut confesser ses péchés, doit-il le faire à tous ?
et à n'importe qui ? ou à qui ?
R.
: Le dessein de Dieu dans sa miséricorde envers les pécheurs est évident,
d'après ce qui est écrit : "Je ne veux pas la mort du pécheur, mais
qu'il se convertisse et qu'il vive" (Ez.33 :11). Cependant, puisque le
repentir doit être proportionné à la faute et qu'il doit y avoir de dignes
fruits de pénitence, selon cette parole : "Faites de dignes fruits de
pénitence" (Lc 3 :8), et de crainte que, s'il n'y a pas de fruits, ne
se réalise cette menace : "Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits
sera coupé et jeté au feu" (Lc 3 :9), il est nécessaire d'avouer
ses péchés à ceux à qui a été confiée l'administration des mystères de
Dieu (1 Cor 4 :1). Ainsi voyons-nous agir les anciens, qui se
convertissaient et se confessaient aux saints. L'Évangile rapporte, en effet,
qu'ils confessaient leurs fautes à Jean-Baptiste (Mt 3 :6), et les Actes
qu'ils le faisaient aux apôtres, par qui tous avaient été baptisés (Act.19 :18).
Qu.
289 : Que doit faire celui qui, après s'être converti, retombe dans le même
faute ?
R.
: Celui qui, après s'être converti une fois, commet de nouveau le même péché,
montre qu'il ne s'est pas purgé de la cause première de son péché, d'où,
comme d'une racine, renaissent nécessairement les mêmes pousses.
Si
quelqu'un, en effet, veut couper les branches d'une plante en laissant la
racine, la racine restante n'en produira pas moins à nouveau d'identiques.
Ainsi,
comme certaines fautes n'ont pas leur racine en elles-mêmes mais en d'autres
fautes, celui qui veut s'en purifier doit absolument arracher la cause première.
Par exemple : ni la discorde, ni l'envie n'ont leur cause en elles-mêmes,
mais elles poussent sur la racine de la vanité, car celui qui cherche la gloire
humaine rivalise avec ceux qui ont une bonne renommée et envie ceux qui en ont
une excellente. Par conséquent, celui qui est tombé une fois dans la discorde
ou dans l'envie et y retombe de nouveau, doit d'abord reconnaître qu'il souffre
profondément de la maladie de la vanité, source première de la discorde et de
l'envie. Il faut donc, alors, qu'il guérisse de la vanité par l'exercice de la
vertu contraire d'humilité, et l'exercice de l'humilité se fait en se livrant
aux occupations les plus viles. Après s'être ainsi pénétré d'humbles
dispositions il ne retombera plus dans les susdits rameaux de la vanité.
Il
en sera de même pour toute faute semblable.
Qu.
290 : Comment abonde-t-on toujours dans l'oeuvre du Seigneur ? (1 Cor
15 :58)
R.
: Soit en multipliant, pour l'utilité et le progrès de ceux à qui l'on fait
le bien, le charisme que l'on a reçu, soit, par comparaison avec le soin que
l'on apporte aux choses humaines, en montrant un plus grand zèle dans l'oeuvre
du Seigneur.
Qu.
291 : Qu'est-ce que le roseau froissé, ou la mèche fumante ? Et
comment ne brise-t-on pas l'un et n'éteint-on pas l'autre ? (Mt 12 :20)
R.
: Je pense que le roseau froissé est celui qui observe le commandement du
Seigneur, mais dans une mauvaise disposition morale : il ne faut ni le
briser, ni le couper, mais plutôt le guérir, comme le Seigneur l'enseigne en
disant : "Prenez garde à ne pas faire votre aumône devant les
hommes, pour ne pas être vus d'eux" (Mt 6 :1), et l'Apôtre donna ce
précepte : "Faites tout sans murmures et sans discussions"
(Phil.2 :14), et ailleurs : "Ne faites rien en esprit de rivalité
ou de vanité" (Phil.2 :3).
La
mèche fumante est celui qui observe la loi, non dans un désir ardent et un zèle
parfait, mais en quelque sorte avec trop de nonchalance et de mollesse. Il ne
faut pas l'arrêter, mais plutôt l'exciter par le rappel des jugements de Dieu
et de ses promesses.
Qu.
292 : Faut-il, dans une fraternité, un précepteur pour l'éducation des
enfants ?
R.
: Comme l'Apôtre a dit : "Vous, pères, ne provoquez pas vos enfants,
mais élevez-les dans la discipline et la pensée du Seigneur" (Eph 6 :4),
si ceux qui les amènent les conduisent dans ce but et si ceux qui les reçoivent
ont pleine assurance qu'ils pourront éduquer dans la discipline et la pensée
de Dieu ceux qu'on leur confie, il faut observer ce commandement du Seigneur :
"Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas : le
royaume des cieux est à ceux qui leur ressemble" (Mt 19 :14).
Sans
cette intention et sans cet espoir, je pense que ce n'est ni agréable à Dieu,
ni convenable ni utile pour nous.
Qu.
293 : Comment faut-il se comporter à l'égard de ceux qui évitent les
plus grands péchés, mais commettent les petits avec indifférence ?
R.
: Il faut savoir d'abord qu'on peut remarquer une telle distinction dans
l'Ancien Testament. Une unique sentence est portée contre tous les péchés
lorsque le Seigneur dit : "Celui qui commet le péché est esclave du
péché" (Jn 8 :34), et "La parole que j'ai prononcée est ce qui
jugera au dernier jour" (Jn 12 :48); de même, lorsque Jean-Baptiste
crie : "Celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la
colère de Dieu est sur lui" (Jn 3 :36), or ce manque de foi n'était
pas ainsi menacé en tant que telle faute parmi d'autres, mais en tant que désobéissance.
Bref,
si nous nous laissons aller à dire grand et petit péché, il ne serait pas
incontestablement prouvé que grand est ce qui domine chacun et petit ce que
chacun domine. Ainsi pour les athlètes, le vainqueur est plus fort que le
vaincu et le vaincu est plus faible que celui qui l'emporte sur lui, quel qu'il
soit.
Il
faut donc, à l'égard de tout pécheur et quelle que soit sa faute, observer la
prescription du Seigneur : "Si ton frère a péché contre toi, va,
reprends-le entre toi et lui; s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il
ne t'écoute pas, prends avec toi un ou deux autres, afin que tout soit avéré
sur la parole de deux ou trois témoins. S'il ne les écoute pas encore, dis-le
à l'Église et s'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour toi comme un païen
et un publicain." (Mt 18 :15-17)
Envers
tous les coupables de ce genre il faudra observer ce que dit l'Apôtre :
"Pourquoi n'avez-vous pas été plus affligés, de façon à écarter de
vous celui qui a commis cette faute ?" (1 Cor 5 :2) Assurément,
il faut ajouter à la sévérité, la longanimité et la pitié.
Qu.
294 : Par suite de quoi se laisse-t-on distraire de la pensée continuelle
de Dieu ?
R.
: Lorsqu'on perd le souvenir des bienfaits de Dieu et qu'on se trouve ignorer
son bienfaiteur.
Qu.
295 : A quels signes se reconnaît-on distrait ?
R.
: Lorsqu'on néglige ce qui doit plaire à Dieu, car le prophète dit :
"Je voyais constamment le Seigneur devant moi, Il est à ma droite, pour
que je ne chancelle pas" (Ps 15,8).
Qu.
296 : Comment une âme obtient-elle l'assurance qu'elle est purifiée de
ses péchés ?
R.
: Lorsqu'on trouve en soi-même cette disposition de David : "J'ai haï
l'iniquité et l'ai prise en horreur" (Ps 118 :163), ou lorsqu'on a
conscience de bien réaliser en soi ce que dit l'Apôtre : "Mortifiez
donc votre corps, ici sur la terre : la débauche, l'impureté, les
passions, les mauvais désirs, la cupidité, qui est l'idolâtrie : voilà
ce qui attire la colère de Dieu", et ensuite, étendant la même
condamnation sur tout péché, il poursuit : "sur les enfants de
l'incrédulité" (Col 3,5-6), de manière à pouvoir dire : "Le
coeur pervers ne s'attachait pas à moi; le méchant s'éloignait de moi, et je
ne le connaissais pas" (Ps 100 :3-4).
On
reconnaîtra que l'on est dans une telle disposition si l'on sent pour les pécheurs
la même effrayante compassion que les saints; car, dit David : "J'ai
vu des insensés, et je me suis consumé, parce qu'ils n'observent pas vos
lois" (Ps 118,158), et l'Apôtre : "Qui est souffrant sans que je
souffre moi-même et qui est scandalisé sans que je brûle ?" (2 Cor
11,29)
Si,
en toute vérité du terme, l'âme est supérieure au corps et si, cependant,
nous constatons que nous concevons de l'aversion et du dégoût pour toute
souillure du corps, et que le coeur éprouve de l'affliction et du chagrin quand
on le voit déchiré et maltraité, à combien plus forte raison celui qui aime
le Christ et aime ses frères éprouvera-t-il les mêmes sentiments à l'égard
des pécheurs, lorsqu'il verra leur âme comme blessée et dévorée par des bêtes
féroces ou montrant des abcès purulents : "Mes iniquités, dit
David, se sont accumulées jusqu'au dessus de ma tête et tel un lourd fardeau pèsent
sur moi. Mes plaies sont putréfiées et corrompues à cause de ma folie, je
suis malheureux et accablé, et tous les jours j'ai marché dans la
tristesse" (Ps 37,5-7), et l'Apôtre dit : "L'aiguillon de la
mort, c'est le péché" (1 Cor 15,56).
Par
conséquent, lorsqu'en face de ses propres péchés et de ceux d'autrui on se
trouve rempli des mêmes sentiments que ceux dont nous avons parlé dès le début,
on peut être convaincu que l'on est pur de tout péché.
Qu.
297 : Comment faut-il se détourner du péché ?
R.
: En s'efforçant d'entrer dans les mêmes dispositions que David :
"J'ai révélé mon péché, dit-il, et n'ai pas dissimulé ma faute".
J'ai dit : "Je confesserai mon iniquité devant le Seigneur" (Ps
31,5), et en exposant ensuite sa conduite, comme il le fait, dans le psaume sixième
et ailleurs, de diverses manières.
De
l'Apôtre on peut apprendre, à propos de la faute d'autrui, ce qu'il rapporte
des Corinthiens lorsqu'il dit : "La tristesse selon Dieu produit une pénitence
salutaire, qu'on ne regrette pas" (2 Cor 7,10) et il énumère les propriétés
de la tristesse : "Voyez, en effet, combien cette tristesse selon Dieu
a causé en vous d'empressement. Que dis-je ? Quel soin de vous justifier,
quelle indignation, quelle crainte, quelle ardeur, quel zèle, quelle sévérité !
De toute façon vous avez montré qu'en cette affaire vous étiez sans
reproches" (2 Cor 7 11).
Il
ressort de tout cela que non seulement il faut se détourner du péché et éprouver
de tels sentiments à l'égard des pécheurs, mais encore qu'il faut s'écarter
des pécheurs eux-mêmes, car David le montre lorsqu'il dit :
"Retirez-vous loin de moi, vous qui commettez l'iniquité" (Ps 6,9),
et l'Apôtre recommande de ne pas même manger avec un tel (1 Cor 5,11).
Qu.
298 : L'Écriture permet-elle à chacun de faire le bien comme il lui plaît ?
R.
: Celui qui se plaît à lui-même plaît à un homme, car lui-même est aussi
un homme.
Puisque
"maudit soit l'homme qui met sa confiance en l'homme et s'appuie sur la
chair de son bras, preuve de confiance en soi, et dont l'âme s'éloigne du
Seigneur" (Jér 7,5), ainsi quiconque plaît à un autre, ou agit selon son
propre bon plaisir manque à la piété pour tomber dans le respect humain :
"Ils agissent, dit le Seigneur, pour être vus des hommes. En vérité, je
vous le dis : ils ont déjà leur récompense" (Mt 6,5), et l'Apôtre
avoue : "Si je plaisais aux hommes, je ne serais plus le serviteur du
Christ" (Gal.1,10). Plus grave encore est la menace que profère l'Écriture
inspirée : "Dieu a dispersé les os de ceux qui plaisaient aux
hommes" (Ps 52,6).
Qu.
299 : Comment une âme obtiendra-t-elle l'assurance qu'elle est exempte de
la vanité ?
R.
: Lorsqu'elle écoute le Seigneur qui a dit : "Que votre lumière
brille devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient
votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5,16), et l'Apôtre qui déclare :
"Que vous mangiez, que vous buviez ou que vous fassiez n'importe quoi,
faites-le pour la gloire de Dieu" (1 Cor 10,31). Aussi, celui qui pratique
la piété sans prétendre ni à la gloire présente ni à la gloire future,
mais se préoccupe avant tout d'aimer Dieu, peut franchement dire, d'accord avec
ce qui précède : "Ni les choses présentes, ni les choses futures ne
pourrons nous séparer de l'amour de Dieu dans le Christ Jésus notre
Seigneur" (Rom 8,38-39), car Notre Seigneur Jésus Christ lui-même a dit :
"Pour moi je ne cherche pas ma gloire" (Jn 8,50), et "Celui qui
prend la parole de lui-même cherche sa gloire, mais celui qui cherche la gloire
de celui qui l'a envoyé, celui-là est dans la vérité" (Jn 7,18).
Qu.
300 : Dès lors qu'il s'agit d'une chose invisible, comment s'opère la
conversion ?
R.
: La manière dont s'opère la conversion est exposée dans cette question dans
laquelle on a demandé : "Comment faut-il se détourner du péché ?"
(Voir Qu. 297)
Quant
au fait qu'il s'agit d'une chose invisible, nous nous souviendrons de ce que dit
le Seigneur : "Rien n'est caché qui ne sera dévoilé" (Mt
10,26), et : "La bouche parle de l'abondance du coeur" (Lc 6,45).
Qu.
301 : Et si quelqu'un dit : Ma conscience ne me reproche rien ?
R.
: Cela arrive aussi pour les maladies du corps. Beaucoup de ces maladies sont
telles que ceux qui en sont atteints ne s'en rendent pas compte; cependant, plutôt
que de s'en tenir à leur insensibilité, ils se confient à l'observation des médecins.
Il en est de même des maladies de l'âme, c'est-à-dire des péchés : même
si quelqu'un ne se reconnaît pas lui-même coupable, parce qu'il n'a pas
conscience de son péché, il doit cependant se fier à celui qui est capable de
mieux voir son état. C'est ce que les apôtres nous ont montré lorsque, bien
que convaincus de la pureté de leurs sentiments à l'égard du Seigneur, ils
entendirent : "L'un de vous me trahira" (Mt 26 :21); ils
crurent plutôt aux paroles du Seigneur et, chacun de son côté demanda :
"Est-ce moi, Seigneur ?" (Mt 26 :22) Saint Pierre nous
l'enseigne encore plus clairement lorsque, dans son ardente humilité, sans
doute, il refusa le service que voulait lui rendre son Seigneur, son Dieu et son
Maître, mais, certain de la vérité des paroles du Seigneur : "Si je
ne te lave pas tu n'auras pas part avec moi", il répondit : "Non
seulement les pieds, mais encore les mains et la tête" (Jn 13,8-9).
Qu.
302 : Doit-on prendre sur les biens de la communauté pour donner aux
pauvres du dehors ?
R.
: Le Seigneur a dit : "Je n'ai été envoyé que pour les brebis
perdues d'Israël" (Mt 15,24), et : "Il ne convient pas de
prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens" (Mt 15,26). Il n'est
donc pas nécessaire de sacrifier pour les indifférents les biens destinés à
ceux qui sont consacrés à Dieu.
Cependant,
s'il peut arriver ce que dit la femme, alors louée pour sa foi :
"Oui, certes, Seigneur, c'est que les petits chiens mangent des miettes qui
tombent de la table de leurs maîtres" (Mt 15,27), il appartiendra à l'économe
d'en juger avec l'assentiment de ceux qui sont supérieurs avec lui, afin que,
selon l'Écriture (Mt 5,45), le soleil, par surabondance, se lève sur les bons
et sur les méchants.
Qu.
303 : Faut-il, dans une fraternité, obéir à la voix de tous ?
R.
: La réponse à cette question est fort difficile. Tout d'abord, le fait que
tous s'avisent de parler semble bien être du désordre, car l'Apôtre dit :
"Deux ou trois prophètes parleront et les autres jugeront" (1 Cor
14,29), et à propos de la répartition des charismes, il donne un rang à
chacun de ceux qui parlent, en disant : "Selon la mesure de foi que
Dieu a départie à chacun" (Rom 12,3-5). Dans sa comparaison avec les
membres du corps, il donne clairement sa place à la fonction de celui qui parle
et la détermine avec soin en disant : "Si on a le don d'enseigner,
qu'on enseigne, le don d'exhorter, qu'on exhorte" (Rom 12,7-8), et ainsi de
suite. D'où il ressort que tout n'est pas laissé à tous, mais que chacun doit
rester dans sa vocation et exécuter le mieux possible ce que Dieu lui a confié.
Par
conséquent, le supérieur de la communauté, mis à la tête de tous après sérieuse
épreuve, en prendra sur lui le souci; il veillera avec soin sur les besoins de
chacun et prendra des dispositions ou donnera des ordres en vue de l'intérêt
commun, selon les forces et les aptitudes de chacun, de façon à plaire à
Dieu.
Les
inférieurs, eux, garderont leur rang, et, connaissant la juste mesure de l'obéissance,
se souviendront de ce que dit le Seigneur : "Mes brebis écoutent ma
voix, je les connais et elles me suivent et je leur donnerai la vie éternelle"
(Jn 10,27-28). Et, ensuite : "Elles ne suivent pas l'étranger, mais
elles le fuient, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étranger"
(Jn 10,5).
Quant
à l'Apôtre, il dit : "Si quelqu'un enseigne autrement et ne s'en
tient pas aux paroles salutaires de Notre Seigneur Jésus Christ, et à la
doctrine conforme à la piété, c'est un orgueilleux qui ne sait rien";
et, après avoir énuméré quelles en sont les conséquences, il ajoute :
"Éloigne-toi de gens semblables" (1 Tim.6,3-5). Ailleurs, il dit :
"Ne méprisez pas les prophètes, contrôlez tout, gardez ce qui est bien
et rejetez tout ce qui semble mal" (1 Thess.5 :20-22).
Ainsi,
dès qu'un ordre nous a été donné en conformité avec la loi de Dieu, ou en
vue de son accomplissement, il faut obéir, même s'il y a menace de mort; mais
s'il contredit ou lèse la loi de Dieu, même si c'était un ange du ciel ou un
des apôtres qui le donnait, même avec la promesse de la vie éternelle et même
avec la menace de mort, il ne faudrait pas l'accepter, car l'Apôtre dit :
"Si quelqu'un, fut-ce moi ou un ange du ciel, vous annonçait un autre évangile
que le nôtre, qu'il soit anathème" (Gal 1,8).
Qu.
304 : Faut-il accepter les présents offerts par les proches en faveur des
membres de la fraternité ?
R.
: C'est au supérieur qu'en revient le soin et l'appréciation. Toutefois, je
crois, pour ma part, qu'il est plus éloigné du scandale et plus édifiant de
refuser de tels dons.
Il
advient, en effet, très souvent que, par la suite de l'acceptation, la
communauté ait à supporter des reproches; cela donne aussi motif d'orgueil aux
parents de ceux qui l'offrent, et il arrive en outre ce que dit l'Apôtre au
sujet de ceux qui mangeaient et buvaient de ce qu'ils avaient apporté :
"Vous faites rougir ceux qui n'ont rien" (1 Cor 11,22), et beaucoup
d'autres choses encore de ce genre.
Étant
données donc toutes ces occasions de pécher, il vaut mieux ne pas accepter ces
présents, mais il appartiendra au supérieur de juger de qui il faut recevoir
et comment il faut employer le don.
Qu.
305 : Doit-on recevoir quelque chose de l'extérieur soit à titre d'amitié,
soit sous prétexte de parenté ?
R.
: Cette demande a le même sens que la précédente : faut-il accepter des
cadeaux offerts par les proches ?
Qu.
306 : Comment se préserver de la dispersion de l'esprit ?
R.
: En faisant sienne cette préoccupation de l'élu de Dieu, David :
"Je voyais toujours le Seigneur devant moi, car il se tient à ma droite
pour que je ne chancelle pas" (Ps 15,8), ou : "Mes yeux sont
toujours tournés vers le Seigneur, parce qu'il arrachera mes pieds du lacet
tendu" (Ps 24 ,15), ou encore : "Comme les yeux des esclaves
sur les mains de leurs maîtres; comme les yeux de la servante sur les mains de
sa maîtresse, ainsi nos yeux sont dirigés vers le Seigneur, notre Dieu"
(Ps 122,2).
Pour
user d'un faible exemple qui nous excite à mieux faire dans une chose plus
importante, que chacun réfléchisse à part lui à sa manière d'agir en présence
d'autres, fussent-ils ses égaux. Comme il a soin, alors, de se montrer irréprochable
dans son attitude, dans sa marche, dans ses mouvements et dans ses paroles !
Or
donc, puisque, pour des hommes nous nous empressons de surveiller nos actes
quand nous les accomplissons devant eux, à bien plus forte raison, celui qui
est persuadé qu'il est sous le regard de Dieu, lequel, selon les Écritures (Ps
7,10), sonde les reins et les coeurs, sous le regard du Fils unique qui remplit
la promesse : "Là ou deux ou trois seront réunis en mon nom, je
serai au milieu d'eux" (Mt 18,20), sous le regard de l'Esprit-Saint, qui
dirige, distribue ses dons et agit dans les âmes (1 Cor 12,11), et sous le
regard de l'ange gardien de chacun, suivant la parole du Seigneur :
"Prenez garde à ne pas mépriser l'un de ces petits, car, je vous le dis,
leurs anges contemplent toujours la face de mon Père qui est dans les
cieux" (Mt 18,10), celui-là, dis-je, multipliera-t-il et accentuera-t-il
ses efforts pour réussir à plaire à Dieu et, ainsi, se maintiendra-t-il plus
intensément et plus parfaitement recueilli.
On
parviendra en outre en s'appliquant à ce que dit le psalmiste : "Je bénirai
le Seigneur en tout temps; toujours sa louange sera dans ma bouche" (Ps
33,2), et "jour et nuit il médite sa loi" (Ps 1,2), de sorte que
l'esprit, étant occupé sans cesse et sans interruption à la méditation et à
la contemplation des commandements et des gloires de Dieu, ne trouvera pas
l'occasion d'errer ça et là.
Qu.
307 : Convient-il que l'on dirige à tour de rôle la psalmodie ou la prière ?
R.
: Tous ceux qui en sont capables doivent le faire en observant cet ordre régulier,
de peur qu'on ne considère cette charge comme sans valeur et sans importance,
et, aussi, de crainte que l'uniformité en faveur de l'un ou de l'autre ne fasse
penser à l'orgueil chez celui qui dirige et a du mépris à l'égard des autres.
Qu.
308 : Doit-on, dans une fraternité, rendre don pour don ? et celui
que l'on rend doit-il être équivalent à celui que l'on reçoit ?
R.
: Cette question est tout humaine. Si l'on veut donner une preuve de
bienveillance, que l'économe juge s'il y a lieu de recevoir les dons et d'en
rendre l'équivalent.
Qu.
309 : S'il arrive un accident intime et naturel à quelqu'un, doit-il oser
s'approcher de la sainte communion ?
R.
: L'Apôtre a déclaré supérieur à la nature et aux choses communes celui qui
est enseveli avec le Christ dans le baptême (Rom 6 :4). Lorsqu'il parle de
baptême dans l'eau, après ce que je viens de dire, il poursuit :
"Conscient de ce que le vieil homme a été crucifié avec lui afin que le
corps asservi au péché soit affranchi et que désormais, nous ne soyons plus
esclaves du péché" (Rom 6,6). Ailleurs, il donne cet avertissement :
"Mortifiez donc votre corps, ici, sur terre : la débauche, les
passions, les mauvais désirs, la cupidité, qui est idolâtrie : toutes
choses qui attirent la colère de Dieu sur les incroyants" (Col 3,5-6). Une
autre fois encore il propose cette règle : "Ceux qui appartiennent au
Christ ont crucifié leur chair avec leurs passions et leurs
concupiscences" (Gal 5,24).
Pour
moi, je crois que, chez l'homme et chez la femme, cela se réalise par la grâce
du Christ, moyennant la foi sincère dans le Seigneur.
Quant
au fait de s'approcher dans l'état de souillure des saints mystères, nous
savons même par l'Ancien Testament quel terrible jugement cela mérite. Or,
s'il y a ici plus que le temple (Mt 12,6), l'Apôtre nous enseigne qu'il y a
bien plus à craindre : "Celui qui mange et boit indignement, mange et
boit sa propre condamnation" (1 Cor 11,29).
Qu.
310 : Peut-on célébrer l'offrande eucharistique dans une maison
ordinaire ?
R.
: L'Écriture, comme elle ne permet pas qu'on introduise dans le sanctuaire un
vase profane, n'admet pas non plus qu'on célèbre les saints mystères dans une
maison ordinaire, car l'Ancien Testament, évidemment par une disposition de
Dieu, ne permit jamais que chose semblable eût lieu. Or le Seigneur a dit :
"Il y a plus ici que le temple" (Mt 12,6), et l'Apôtre :
"N'avez-vous pas des maisons pour manger et boire ? Que vous dirais-je ?
Dois-je vous féliciter ? Non, je ne vous féliciterai pas; car ce que je
vous ai transmis, je le tiens de Dieu..." et la suite (1 Cor 11,22-23).
Par-là
nous apprenons que nous ne pouvons ni prendre, dans l'église, notre repas
ordinaire en y mangeant et en y buvant, ni profaner le repas du Seigneur en le
prenant dans une maison ordinaire, à moins que, par nécessité, on ne
choisisse, à l'heure convenable, un endroit ou une maison bien propre.
Qu.
311 : Doit-on visiter ceux qui le demande ?
R.
: Visiter est une chose agréable à Dieu, mais il faut que le visiteur soit
capable d'écouter avec intelligence et de répondre avec prudence, conformément
à cette parole : "Votre conversation sera toujours aimable et
assaisonnée de sel, de manière que vous sachiez comment répondre à
chacun" (Col 4,6).
Quant
à faire une visite pour un motif de parenté ou d'amitié, c'est là une chose
étrangère à notre profession.
Qu.
312 : Lorsque les laïcs viennent nous visiter, faut-il les inviter à la
prière ?
R.
: S'ils sont des amis de Dieu, c'est tout indiqué, puisque c'est à eux que
l'Apôtre a écrit : "Priez pour moi, afin que, lorsque j'ouvrirai la
bouche, les paroles me soient données pour annoncer avec assurance les mystères
de Dieu" (Eph 6,9).
Qu.
313 : Faut-il continuer son travail lorsque viennent des visiteurs ?
R.
: Rien de ce qui est obligatoire ne doit être interrompu pour l'accueil éventuel
des visiteurs qui surviennent, à moins que, selon le commandement du Seigneur,
il ne faille estimer préférable à une oeuvre corporelle, une oeuvre
spirituelle particulière, car les apôtres disent dans les Actes :
"Il ne convient pas que nous délaissions le ministère de la parole pour
servir aux tables" (Act 6,2).