A SON TRES CHER FRERE 
THÉODORET, ÉVEQUE


 Nous avons appris par nos frères et collègues, qui sont de retour du saint concile, où le Siège du bienheureux Pierre les avait envoyés, que, protégé comme nous par le Bras du Tout-Puissant, tu es resté victorieux de l'impiété de Nestorius et de la fureur des eutychéens. Glorifions-nous donc en notre Seigneur et chantons avec le prophète  : " Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre " (Ps 123,8). Il n'a pas permis qu'on nous portât préjudice dans la personne de nos frères ; et ce divin mystère qu'Il avait défini par ma bouche, Il l'a confirmé par l'assentiment irrévocable de tous nos collègues. Il a voulu prouver ainsi que cette exposition de foi, donnée par le premier des Sièges et approuvée par tout l'univers chrétien, avait été composée sous son Inspiration ; et en faisant ainsi concourir au même but les membres et le corps, Il nous a donné d'autant plus matière à nous réjouir, qu'Il a frappé notre ennemi avec d'autant plus de rigueur, qu'il avait sévi plus cruellement contre les ministres du Christ. Pour augmenter l'éclat du témoignage que tous les autres Sièges rendirent à celui que le Seigneur établit le premier de tous, il s'en trouva d'abord qui se laissèrent aller à de soupçons injustes et qui doutèrent de notre jugement ; mais tandis que le démon, le père de la discorde, excitait quelques-uns à nous contredire, à lutter contre nous, par la Grâce du Dieu de bonté, le mal que celui-là nous faisait a été remplacé par un plus grand bien. En vérité, les présents de la Grâce divine paraissent bien plus doux toutes les fois qu'on les a acquis au prix de grandes sueurs ; et la paix qui s'écoule dans le repos paraît bien moins agréable que celle qui nous est rendue après de grands travaux ; et la vérité elle-même brille d'un plus vif éclat et se grave plus profondément dans les esprits, lorsque, enseignée d'abord par la foi, elle est ensuite confirmée par l'examen. Enfin, la dignité des évêques paraît plus grande, lorsque l'autorité du plus puissant est respectée de telle sorte qu'on ne voit pas qu'aucune atteinte ait été porté à la liberté des inférieurs.

L'examen tourne d'autant plus à la Gloire de Dieu, qu'on ne craint point d'arracher le masque à l'hérésie pour la vaincre, de peur que ce qui est évidemment injuste par soi-même, ne paraisse opprimé dans un injuste silence. Exulte donc, très cher frère, et exulte, vainqueur en Jésus Christ, le Fils unique de Dieu. Il a triomphé par nous, Celui dont on niait la vérité de la chair ; Il a triomphé par nous et pour nous, Celui en qui nous vivons et dont l'arrivée en ce monde est un nouveau jour de gloire pour l'univers. Le divin mystère de l'Incarnation fut rendu au monde après la défaite de l'ennemi du genre humain, qui, ne pouvant l'abolir et le faire oublier, s'était efforcé de le rendre incompréhensible par ses mensonges. Bien plus, ce mystère immortel avait été banni du coeur des incrédules, car un si grand sacrement de salut ne peut servir à l'incrédule. Jésus Christ Lui-même a enseigné cette vérité à ses disciples par ces paroles  : " Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné " (Mc 16,16). Les rayons du Soleil de justice, interceptés par les ténèbres épaisses de Nestorius et d'Eutychès, ont brillé d'un nouvel éclat sur l'Orient, où le Seigneur a placé de préférence le Siège des enseignements des apôtres et des docteurs ; et dans ces contrées qu'il n'est pas permis de croire que le Seigneur abandonne jamais, là où Il avait placé ces illustres confesseurs, notre antique ennemi s'efforçait de nouveau, à l'aide du coeur corrompu d'un second pharaon, de détruire la race fidèle d'Abraham et les enfants de la nouvelle promesse ; mais Dieu, dans sa Miséricorde, rendit vains les efforts des démons, et il ne peut nuire qu'à lui seul. Dieu, dans sa Toute-Puissance, agit d'une manière si admirable, que loin de condamner avec leur maître ceux qui s'étaient armés avec lui pour massacrer les enfants d'Israël, Il les réunit à son peuple. Et comme il était digne de Lui, Source des miséricordes et comme il était possible à Lui seul de le faire, Il réunit les vaincus avec nous pour leur faire partager notre victoire ; car l'esprit de mensonge est le seul véritable ennemi du genre humain, et il n'est point douteux que tous ceux que la vérité a appelés vers elle ne puissent le terrasser. Les paroles suivantes de notre Sauveur prouvent bien qu'elles sont d'autorité divine ; elles s'adressent si bien aux ennemis de la foi qu'on ne peut douter que ce ne soit d'eux qu'Il ait voulu parler  : " Vous, dit-Il, vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge " (Jn 8,44).

On ne doit donc pas s'étonner de ce que ceux qui ont regardé comme un mensonge la vérité de la Chair de Jésus Christ s'accordent avec leur père, prétendant que tout ce qui a été vu, entendu, touché et palpé, comme le témoigne l'évangile, ne présente point des preuves solides de cette réalité de la nature humaine, mais que Jésus Christ était d'une seule nature coéternelle et consubstantielle au Père, comme si la Nature divine avait été attachée au bois de la croix, comme si cette Nature immuable avait pu grandir avec l'âge, comme si la Sagesse éternelle avait pu croître en sagesse, comme si l'Esprit de Dieu, qui est l'Esprit Lui-même, S'était développé et avait augmenté. Cette folie furieuse montra bien quel était son père, en s'efforçant par tous les moyens possibles de faire partager son impiété à tous les hommes. Quoiqu'elle nous eût déjà frappé dans chacun de nos frères, qui sont nos membres, elle ne voulut pas nous épargner nous-même ; avec une audace nouvelle, inouïe, incroyable, elle déversa l'injure contre le chef des Églises. Mais plût à Dieu que, se repentant après tant de crimes, elle ne nous ait fait point pleurer sur sa damnation éternelle. Elle voulut mettre le comble à tous ses crimes ; ceux qu'elle avait commis ne lui suffisaient pas ; elle n'épargna ni les vivants ni les morts ; ennemie de la vérité, protectrice de l'erreur, elle trempa ses mains déjà souillées dans le sang d'un innocent, dans le sang d'un évêque catholique. Tandis qu'il a été écrit  : " Quiconque hait son frère est un meurtrier " (1 Jn  3,15), l'impie qui s'était déjà rendu meurtrier en haïssant son frère, accomplit son oeuvre criminelle, comme s'il n'avait point entendu ces paroles du Seigneur  : " Recevez mes instructions, car Je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger " (Mt 11,29&endash;30). Ce digne apôtre des mensonges du démon, cet Égyptien dévastateur s'éleva comme un tyran farouche. A l'aide d'une foule furieuse de séditieux, il imposait à l'Église des blasphèmes criminels qu'il faisait approuver par nos vénérables frères avec les mains sanglantes des soldats. La Voix de notre divin Rédempteur nous a assuré qu'il n'y avait qu'un seul et même auteur de l'homicide et du mensonge ; eh bien, il s'est rendu coupable d'homicide et de mensonge comme s'il n'avait reçu les conseils que le Fils de Dieu nous a donnés pour notre salut, que pour faire les choses contre lesquelles Il nous mettait en garde et ainsi se damner à jamais. Il n'avait point non plus prêté une oreille attentive à ces paroles du Seigneur  : " Je dis ce que J'ai vu chez mon Père ; et vous, vous faites ce que vous avez entendu de la part de votre père " (Jn 8,38).

Aussi, en conspirant d'arracher la vie de ce monde à Flavien, de sainte mémoire, il se priva de la lumière de la véritable vie. En voulant vous arracher à vos Églises, il se sépara du nombre des chrétiens. En entraînant vers l'erreur un grand nombre de fidèles et en les y faisant tomber, il a percé son âme de nombreuses blessures ; seul il fut criminel plus que tous, par tous et pour tous ; car il fut la cause des crimes de tous. Quoique tu sois fortifié par une solide nourriture spirituelle et que tu n'aies point du tout besoin de ce conseil, cependant je te dirai de te conduire de même que l'Apôtre, comme c'est notre devoir, afin que nous puissions répéter avec lui  : " Et, sans parler d'autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? " (2 Co 11,28&endash;29) Je crois surtout devoir t'avertir en cette occasion, mon très cher frère, que toutes les fois que, par un effet de la Grâce divine, nous condamnons ou nous recevons à la pénitence, de vive voix ou par écrit, ceux qui sont tombés, il nous faut prendre garde de nous écarter en rien des règles de foi que la Divinité du saint Esprit a révélées au concile de Chalcédoine et avoir soin, placés entre deux ennemis comme nous le sommes, de peser toutes nos paroles avec la plus grande attention, de crainte d'une nouvelle perfidie. Il ne faut point parler comme si nous avions à traiter des sujets douteux, ce qui ne se présente pas ici, mais nous baser sur des autorités qui ont été mûrement définies. Nous savons que dans la lettre du saint Siège apostolique, confirmée par l'approbation du saint concile universel, sont réunis des témoignages d'une autorité si divine, que nul ne peut élever le moindre doute sur leur validité, à moins qu'il ne préfère se plonger dans les ténèbres de l'erreur ; et les actes du concile, soit ceux qui renferment la définition de foi qui fut composée, soit ceux où se trouvent les lettres précitées du Siège apostolique, lettres que tu as défendues avec tant de zèle, et principalement l'allocution de tout le concile, à nos princes très pieux, sont appuyés par un si grand nombre de témoignages des anciens pères de l'Église, qu'ils suffisent pour convaincre un esprit, quelque imprudent et quelque opiniâtre qu'il soit, à moins qu'il ne soit déjà condamné avec le démon pour son impiété.

Aussi, est-il nécessaire, dans notre manière d'agir contre les ennemis de l'Église, de veiller à ne leur jamais laisser, en ce qui nous concerne, aucune occasion de calomnie, et dans notre lutte contre Nestorius et Eutychès, de ne jamais paraître éviter l'un ou l'autre, mais de frapper de la même lance ces deux ennemis du Christ et de les condamner. Ainsi, toutes les fois que cela peut être utile à ceux qui nous écoutent, il faut formuler contre eux et contre leurs dogmes un anathème prompt et clair, de crainte que, si nous paraissions tarder à le faire et si nous le formulions en termes obscurs, on ne croie que nous agissons malgré nous. Tu as éprouvé naguère la vérité de ce que j'avance, quoique je n'aie à adresser d'admonition qu'à ta prudence, car notre Seigneur très saint, dans sa Vérité invincible, a démontré par le jugement du saint Siège que tu étais pur de toute souillure des hérétiques. Tu Lui rendras de grandes actions de grâces pour tant d'épreuves qu'Il t'a fait subir, si tu t'es conservé tel que nous t'avons reconnu et tel que nous te reconnaissons, pour la défense de l'Église universelle. En ce que le Seigneur a confondu les mensonges de tous les calomniateurs, je reconnais que le bienheureux Pierre a intercédé pour nous tous  : après avoir confirmé dans la définition de foi le jugement de son Siège, il n'a pas permis qu'on pût trouver rien de condamnable dans la personne de ceux qui avaient combattu avec nous pour la foi catholique ; au jugement du saint Esprit, ceux-là ne pouvaient être que triomphants dont la foi avait déjà triomphé.

Pour terminer, je t'exhorterai à collaborer avec le Siège apostolique ; car nous avons appris qu'il existait encore dans vos contrées quelques restes de l'erreur eutychéenne et nestorienne. La victoire que Jésus Christ notre Seigneur et notre Dieu a donnée à son Église, tout en nous inspirant une plus grande confiance, tant que nous restons en ce monde, ne doit pas cependant nous faire perdre toute sollicitude ; elle ne nous a point été accordée pour que nous nous endormions, mais pour que nous travaillions avec plus de plaisir. D'après le rapport que tu nous as fait, nous voulons t'aider dans ta sollicitude pastorale, afin que la doctrine du Seigneur fructifie parmi ces hérétiques. Hâte-toi donc d'instruire le Siège apostolique, afin que nous puissions prêter secours, autant qu'il me sera convenable et nécessaire, aux prêtres de la religion. Sur ce qui concerne les choses illicites qui ont été tentées par un esprit d'orgueil au dernier concile, à l'encontre des vénérables canons de Nicée, nous avons écrit à notre frère et collègue, l'évêque d'Antioche, et nous avons ajouté, d'après un rapport que nous avaient fait nos vicaires sur l'iniquité de certains moines de votre Église, que nous arrêtions d'une manière toute spéciale que personne ne se permît de prêcher, à l'exception des prêtres du Seigneur, soit moine, soit laïc, et de quelque science qu'il pût se glorifier. Nous voulons que cette lettre, pour l'utilité de toute l'Église, soit rendue publique par notre frère et collègue Maxime ; et comme nous ne doutons point qu'il ne s'empresse de remplir cette recommandation, nous n'avons pas voulu joindre une copie à la présente.

Que Dieu te garde intègre, très cher frère.
Fait le 4 des ides de juin, sous le consulat du très illustre Opilion.


   IKTHYS