Marlene

 

 Lorsque Marlene Diétrich est venue pour la première fois à Hollywood, toute l’industrie du cinéma idolâtrait Greta Garbo. C’était une idolâtrie avouée, mais cependant ridicule, conventionnelle. Les producteurs importaient de tous les coins d’Europe des fausses Garbos. Les réalisateurs (y compris von Sternberg) donnaient à leurs actrices la ressemblance de Garbo. Les vedettes masculines acceptaient des salaires inférieurs et la second tête d’affiche pour travailler avec Garbo. Les actrices brunes et de petite taille s’éclipsérent, ou devinrent blondes, redessinèrent leurs sourcils en arches étroites, et arborèrent de faux cils. Devant la caméra, elles lançaient en gros plan des regards mystérieux, rejetaient la tête en arrière à tout moment et s’affissaient sur des lits ou divans privées de défense.

            En 1930, la première fois que je vis Diétrich, personne n’aurait pu ressembler moins à Garbo, réagir moins à sa manière. J’avais été amenée par Irène et David Selznick à une party, sans me douter qu’on avait reconverti une boîte de nuit en casino de jeux pour quelque oeuvre de charité. Je déteste le jeu et me réfugiai dans une pièce vide, à l’exception d’une jolie blonde, bien et chair, qui était assise sous un pilier. C’était Marlène Diétrich. Ses beaux cheveux blonds étaient étroitement bouclés, elle portait une robe de gaze bleu ciel avec de lourds bas de soie allemands. A ma grande surprise, elle me dit bonsoir d’une voix chaude et amicale. Elle était encore tout à fait Lola-Lola de L’ange bleu. Mais, à partir du moment où Coeurs brûles fut distribué, toute ressemblance avec ce personnage magnifique s’évanouit à tout jamais. Dans la nouvelle Diétrich, si raffinée, il n’y avait plus une trace d’heureuse vulgarité ou de générosité impulsive. Ses mouvements brutaux et dinamiques s’étaient atténués jusqu’à cette démarche majestueuse qu’elle avait entre les séances de pose photographiques. Elle n’osait plus jouer de peur d’ouvrir ses yeux, à présent mi-clos et lourdement ombragès de faux-cils. Et toute démonstration émotive eût nui à l’éclairage savant qui sculptait ses joues rondes.

            De fidèles admirateurs affirment toujours que sa mètamorphose, de Diétrich en une déesse hollywoodienne sophistiquée, fut la grande chance de sa vie. Mais moi, chaque fois que je vois L’ange bleu, je pleure un peu.

Louise Brooks, Marlene, "Positif", nr. 75, Mai 1966


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