ZaSu Pitts

 

 Si j’essaie de me rappeler les circonstances qui ont entouré ma seule rencontre avec ZaSu Pitts, je m’aperçois qu’avec son drôle d’esprit elle en a anéanti le souvenir. Dans ma Mémoire, il n’y a plus que l’image fragile de sa personnalité papillonante. Je ne sais même plus dans quelle pièce je l’ai vue jouer son emploi habituel de bonne de comédie. C’était a New York, un soir de 1954, j’écoutais à la radio l’émission de Barry Gray. Il interviewait ZaSu. Elle lui parlait de cuisine et lui s’arrangeait pour assaisonner tous les propos à la sauce antisémite. Je ne connaissait pas ZaSu ; depuis sept ans, par suite d’un différent d’ordre publique avec Rufus LeMaire, producteur à la Metro-Goldwin-Mayer, elle ne faisait plus de cinéma. Et Gray sabotait maintenant les efforts qu’elle tentait pour refaire une carrière à Broadway dans la reprise d’un vieux policier.

            Le lendemain, je songeai à Westbrook Pegler, que je ne connaissais pas non plus. Mais il détestait Barry Gray et c’était suffisant pour que je lui raconte dans une lettre le coup de pied de l’âne que Gray venait de donner à ZaSu. Une semaine plus tard, Pegler consacrait toute sa cronique dans le Journal-American à la gloire de ZaSu, aussi bien la femme que l’actrice.

            Puis ZaSu me téléphona. Elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi j’avais écrit à Pegler ; maia elle voulait tout de même remercier, ce qui me valut une invitation à venir voir sa pièce et à souper ensuite avec elle. Au debut de la soirée, ZaSu ne fut qu’une lamentable réplique du personnage qu’elle incarnait alors à la television, c’est-à-dire l’éternelle indécise qui hésite toujours entre une série d’alternatives également absurdes. Elle était en retard et j’allais frapper à la porte de sa suite à l’hôtel Pierre comme elle arriva. Elle eut un léger sursaut à ma vue et, l’espace d’un instant, ses yeux auraient voulu fuir. Elle prit chez elle des choses dont elle avait besoin au théâtre et nous descendîmes. Dans le hall, une autre femme l’attendait ; nouveau sursaut de ZaSu qui se souvint alors qu’elle l’avait également invitée à venir voir la pièce. Après le baisser de rideau, nous nous sommes rendues toutes les deux dans les coulisses où déjà six autres personnes attendaient ZaSu. Celles-ci l’avaient invitée à souper à leur maison de Sutton Place. Personne ne dit mot lorsque ZaSu vint nous rejoindre, jusq’à ce qu’enfin, avec un gest ennuyé de la main, elle dise : «Well, let’s all go to my place for a drink« .

            Une fois chez elle, je m’aperçus que ZaSu se fabriquait un masque diffus pour cacher son véritable personnage. Et elle vit que je n’étais pas dupe. Il y avait qualque chose qui détonnait quand elle mentionnait cette suite luxueuse que des amis partis pour la Floride lui prêtaient. Après que chacun eut commandé son unique whisky-soda, elle eut un ton déplaisant dans sa façon d’ajouter : «And I’ll have a double strawberry ice cream soda«. Lorsq’elle parla de son mari qui lui manquait (il était resté en Californie), elle poussa un de ces soupirs voluptueux qui me fit sourire. Ce que voyant, elle se renfrogna dans son fauteuil. Alors, à la recherche de la grande interprète, je prononçai par bonheur la formule magique ; d’un coup, le papillon s’étrangla. Son masque d’indécision et le côté «carte postale« de sa personnalité n’étaient déjà plus sur son visage lorsqu’elle se tourna vers ses invités et dit : «You don’t know, of course, but I wasn’t always a comedienne.Oh, no !I began as a dramatic actress«. A mesure qu’elle nous parlait de von Stroheim et de Greed, l’envoûtant Trina se remit à vivre sous nos yeux, avec son abondante chevelure, ses longues jambes de nacre, Trina qui se mettait au lit avec ses deux cent cinquante pièces d’or.

Louise Brooks, ZaSu Pitts, "Objectif", nr. 22, Août 1963


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