SAINT BASILE LE GRAND


LES PETITES RÈGLES  

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Qu. 99 : Dans quel esprit faut-il faire des réprimandes ?

R. : Il faut avoir envers Dieu ces dispositions qui animaient David lorsqu'il disait : "J'ai vu les insensés et je me suis consumé parce qu'ils n'observent pas vos commandements" (Ps 118,158).

Vis-à-vis de ceux que l'on réprimande il faut être dans les dispositions du père médecin qui soigne son propre fils avec douceur et compassion, surtout s'il faut faire souffrir et si les soins sont douloureux.

Qu. 100 : Comment nous comporterons-nous envers les mendiants qui viennent du dehors ? Chacun doit-il à son gré donner du pain ou autre chose, ou bien faut-il qu'un seul soit préposé à cet office ?

R. : Le Seigneur a dit qu'il ne convient pas de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens, mais il a approuvé ces paroles : "Car les chiens mangent les miettes qui tombent de la table des maîtres" (Mt 15-27). Celui qui a charge de donner, donnera donc avec discrétion, et celui qui le fait sans son assentiment doit être réprimandé comme destructeur du bon ordre, jusqu'à ce qu'il apprenne à se tenir à sa place; car l'Apôtre a dit : "frères, que chacun reste au rang où il a été appelé" (1 Cor 7,24).

Qu. 101 : Est-ce que celui qui a en main l'administration des biens voués au Seigneur doit nécessairement obéir à cette parole : "Donne à quiconque demande et ne repousse pas celui qui veut t'emprunter" (Lc 6,30 et Mt 5,42) ?

R. : Ces paroles : "Donne à quiconque demande et ne te détourne pas de celui qui veut t'emprunter", comme le montrent celles qui les suivent, ont été dites pour nous éprouver. Ce commandement a été donné pour les méchants, il n'est pas obligatoire d'une façon absolue, mais selon les circonstances.

Le commandement essentiel du Seigneur est celui-ci : "Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres" (Lc 18,22) et  : "Vendez ce que vous possédez pour faire l'aumône" (Lc 12,33). Toutefois selon ces paroles du Seigneur : "Je n'ai été envoyé que pour les brebis d'Israël" (Mt 15,24) et : "Il ne convient pas de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens" (Mt 15,40), il n'est pas sans danger de distribuer aux uns ce qui est destiné aux autres. Pourquoi, dès lors, ne pas juger par soi-même de ce qu'il est juste de faire ?

Qu. 102 : Lorsque quelqu'un, pour n'importe quel motif, veut quitter la communauté, faut-il, oui ou non, tâcher de le retenir ? et, s'il le faut, c'est à quelles conditions ?

R. : Le Seigneur a dit : "Je ne repousserai pas celui qui vient à moi " (Jn 6,37), et : "Ce ne sont pas les biens portants mais les malades, qui ont besoin du médecin" (Mt 9,12), et plus loin : "Qui de vous, s'il a cent brebis et vient à en perdre une seule, n'abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres pour aller à la recherche de l'égarée jusqu'à ce qu'il la trouve ?" (Mt 18,12)

Il faut donc employer tous les moyens pour guérir le malade et rétablir, dirai-je, le membre désarticulé. Mais s'il persiste dans sa mauvaise disposition, quelle qu'elle soit, il faut le congédier comme un étranger, car il est écrit : "Toute plante que n'aura pas plantée mon Père céleste sera arrachée. Laissez-les, ce sont des aveugles" (Mt 15,13-14).

Qu. 103 : Nous avons déjà appris qu'il faut obéir aux anciens jusqu'à la mort; mais comme il arrive parfois même à un vieillard de faillir, faut-il le reprendre, et qui doit le faire, et comment ? Nous voudrions le savoir. Et s'il n'accepte pas la réprimande ? que doit-on faire ?

R. : Nous avons clairement exposé le sujet dans les Grandes Réponses. (Voir G.R.27)

Qu. 104 : Comment les charges doivent-elles être confiées aux frères ? Est-ce le supérieur seul qui doit juger ou les frères doivent-ils intervenir par leurs suffrages ? La même question se pose pour les soeurs.

R. : Si chacun, comme il l'a appris, doit confier aux autres ses soucis, à combien plus forte raison faut-il, en une telle occasion, consulter ceux qui sont à même de donner un conseil; car il importe, pour l'administration selon Dieu de ce qui est à Dieu, qu'elle soit confiée à ceux qui ont donné des preuves de leur aptitude et peuvent gérer leur charge d'une manière agréable à Dieu.

Du reste le supérieur doit en général et en toute circonstance, se rappeler l'avertissement de l'Écriture : "Faites tout en demandant conseil" (Ec 32,24).

Qu. 105  : Faut-il qu'on apprenne un métier dès son entrée dans la communauté des frères ?

R. : Les supérieurs en jugeront.

Qu. 106 : Quels châtiments faut-il employer dans la fraternité pour corriger les coupables ?

R. : Aux supérieurs de juger quand et comment châtier en tenant compte de l'âge et de la santé, des dispositions de l'âme et du genre de faute.

Qu. 107 : Si quelqu'un dit avoir le désir de vivre avec les frères mais est empêché de se donner une fois pour toutes à ce genre de vie parce qu'il a des parents à soigner ou des impôts à payer, faut-il lui concéder l'accès dans la fraternité ?

R. : Il n'est pas sans danger de couper court à un bon désir, cependant il n'est pas prudent non plus de donner à celui qui est entré, la faculté de s'occuper de choses extérieures et étrangères au service de Dieu. Si on se donne, en entrant, aux intérêts de la communauté sans y introduire des soucis extérieurs on offre plus de garanties.

Qu. 108 : Convient-il au supérieur d'avoir des entretiens spirituels avec une Soeur, en dehors de la présence de la supérieur ?

R. : Cette conduite ne tient pas compte de l'avertissement : "Que tout se fasse avec décence et ordre" (1 Cor 14,40).

Qu. 109 : Convient-il au supérieur d'avoir des entretiens fréquents avec la supérieure, surtout si quelques frères s'en offusque ?

R. : L'Apôtre dit : "Pourquoi ma liberté est-elle jugée par la conscience d'autrui ?" (1 Cor 10,29); cependant, comme il l'affirme : "Nous n'avons point usé de ce pouvoir pour ne pas faire obstacle à l'Évangile du Christ" (1 Cor 9,12), il convient de l'imiter et de rendre ces entretiens aussi rares et courts que possible.

Qu. 110 : L'ancienne doit-elle être présente lorsqu'une Soeur se confesse à l'ancien ?

R. : Il est convenable et prudent que la confession ait lieu en présence de l'ancienne, le confesseur étant un ancien capable de proposer avec sagesse la façon de faire pénitence et de se corriger.

Qu. 111 : Lorsque l'ancien donne un ordre aux Soeurs à l'insu de l'ancienne, celle-ci a-t-elle le droit de s'indigner ?

R. : Et grandement !

Qu. 112 : Si quelqu'un se présente pour embrasser la vie selon Dieu, le supérieur peut-il le recevoir sans prendre l'avis des frères, ou doit-il aussi les avertir au préalable ?

R. : Le Seigneur enseigne qu'il faut réunir amis et voisins lorsqu'un pécheur se convertit. Il est donc encore bien plus nécessaire de faire connaître aux frères le nouveau venu, afin qu'ensemble ils se réjouissent et prient.

Qu. 113 : Vu qu'il doit déjà se montrer sous bien des aspects différents, celui qui a charge d'âmes peut-il encore observer les paroles du Seigneur : "Si vous ne vous convertissez et ne devenez semblables à des enfants" (Mt 18,3) ?

Qu. 94 : Quelqu'un en entrant dans la fraternité, laisse des impôts non payés, et ses proches subissent des réclamations et des vexations; n'est-ce pas pour lui, et pour ceux qui l'ont reçu, une cause d'hésitation et d'ennui ?

R. : A ceux qui lui demandaient : "Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César, le Seigneur dit : "Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l'effigie et l'inscription ? ils dirent : "De César" - Rendez-donc à César, répondit-il, ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" (Lc 20,22-24). Il est donc évident par-là que tous ceux chez qui on trouve l'effigie de César font voir qu'ils sont soumis aux ordonnances de César. Par conséquent, si quelqu'un se présente dans la fraternité en emportant avec lui ce qui est à César, qu'il paie l'impôt; mais s'il a quitté les siens en leur abandonnant tout, ni lui, ni ceux qui l'ont reçu n'auront à hésiter.

Qu. 95 : Convient-il que les nouveaux venus se mettent immédiatement à l'étude de l'Écriture ?

R. : Ce que nous avons déjà dit doit résoudre directement la question. Si l'on veut atteindre la piété avec certitude et non se laisser conduire par des traditions humaines, il convient et il est nécessaire de s'instruire dans l'Écriture inspirée par Dieu.

Qu. 96 : Faut-il permettre à qui veut de s'adonner à l'étude et de se livrer à la lecture ?

R. : L'Apôtre ayant dit : "De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez" (Gal 5,17), il est mauvais de laisser quelqu'un faire ce qu'il a décidé par sa volonté propre. Il faut au contraire accepter tout ce qui est décidé par les supérieurs, même contre notre volonté. Celui qui fait ce qu'il veut, mérite le reproche d'incrédulité, car le Seigneur a dit : "Soyez prêts parce que le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne pensez pas" (Lc 12,40), et lui, il paraît bien se proposer encore des temps de vie.

R. : Le très sage Salomon a dit qu'il y a un temps pour toutes choses (Ec 3,1), il faut donc savoir qu'humilité, autorité, reproches, exhortations, ménagements, franchise, bonté, dureté, tout en un mot a son heure. Tantôt il y aura lieu de montrer de l'humilité en se faisant petit comme des enfants, surtout lorsqu'il s'agit d'honneurs et de devoirs à se rendre mutuellement ou de services et de soins à donner au corps, ainsi que le Seigneur nous l'enseigne ? Tantôt c'est du pouvoir qu'il faudra user, de ce pouvoir donné par le Seigneur pour édifier et non pour détruire (2 Cor 13,10), surtout lorsqu'il sera nécessaire d'user de franchise. Dans l'exhortation, par contre, il faudra employer la douceur et, à l'heure de la sévérité, faire preuve de zèle, et ainsi de suite selon les autres circonstances.

Qu. 114 : Le Seigneur a dit : "Si quelqu'un t'oblige à faire un mille, fais-en deux avec lui" (Mt 5,41), et l'Apôtre enseigne aux fidèles à se soumettre les uns aux autres dans la crainte du Christ (Eph 5,21), faut-il donc obéir à n'importe qui en n'importe quoi ?

R. : La personne de celui qui donne un ordre, ne doit pas être un obstacle à l'obéissance de celui qui le reçoit, car Moïse ne méprisa point les bons conseils de Jéthro. (Ex 18,19).

Pour les commandements donnés eux-mêmes, il faut distinguer sérieusement. Les uns, en effet, s'opposant à la loi de Dieu, la corrompent ou la dénaturent par l'introduction d'un élément défendu, d'autres se confondent avec elle et d'autres, sans lui être clairement conforme, se joignent à elle et sont, pourrait-on dire, un adjuvant pour elle. Il faut donc se souvenir des paroles de l'Apôtre : "Ne méprisez pas les prophéties. Éprouvez tout et retenez ce qui est bon; abstenez-vous de toute apparence du mal" (1 Thess 5,20-22) et "Nous renversons les raisonnements et tout ce qui s'élève contre la connaissance de Dieu, nous assujettissons toute pensée à l'obéissance du Christ" (2 Cor 10,4-5). En conséquence, si on nous donne un ordre qui coïncide ou concorde avec la loi de Dieu, nous devons mettre tout notre zèle et tous nos soins à l'accomplir comme étant la volonté divine. Ainsi réaliserons-nous ces paroles : "Soumis les uns les autres dans la charité du Christ" (Eph 4,2). Par contre si on nous commande ce qui est contraire à la loi de Dieu, la viole ou la dénature, c'est le moment de dire qu''"il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" (Ac 5,29), nous souvenant des paroles du Seigneur : "Elles ne suivront pas un étranger, mais le fuiront, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers" (Jn 10,5) et de cet avertissement de l'Apôtre, qui s'en prend même aux anges en vue de notre sécurité : "Même si moi, dit-il, ou un ange du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que je vous ai prêché, qu'il soit anathème" (Gal 1,8). Cela nous apprend que, fut-il de très haute naissance ou extraordinairement illustre, nous devons, si nous aimons le Seigneur, fuir et même détester celui qui défend d'accomplir la loi de Dieu ou commande ce qu'elle défend.

Qu. 115 : Comment il faut s'obéir les uns aux autres.

R. : Comme des serviteurs à leurs maîtres. Ainsi le veut le Seigneur : "Celui, dit-il, qui veut être grand parmi vous, doit être le dernier et le serviteur de tous" (Mc 10,44), et il ajoute ces mots plus émouvants encore : "Comme le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir" (Mc 10,45).

L'Apôtre, de son côté, écrit : "Servez-vous mutuellement dans la charité de l'Esprit saint" (Gal 5,13).

Qu. 116 : Jusqu'où il faut obéir pour observer la règle de plaire à Dieu.

R. : L'Apôtre nous l'apprend en citant en exemple l'obéissance du Christ "qui obéit jusqu'à la mort et à la mort de la croix" (Phil 2,8), et en ajoutant : "Ayez, vous aussi, les sentiments du Christ Jésus" (Phil 2,5).

Qu. 117 : Celui qui n'est pas pleinement satisfait d'ordres donnés au jour le jour, selon la règle établie, et cherche à apprendre un métier, de quel mal est-il atteint ? faut-il l'écouter ?

R. : Ce frère est présomptueux et rempli de lui-même, et il manque de foi, puisqu'il ne redoute pas le jugement du Seigneur qui a dit : "Soyez prêts, le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne connaissez pas" (Lc 12,40).

Si quelqu'un attend le Seigneur de jour en jour et d'heure en heure, il craint de passer sa journée dans l'oisiveté et ne se préoccupe de rien d'autre.

S'il vient toutefois à recevoir l'ordre d'apprendre un métier, qu'il considère dans l'obéissance l'avantage d'être agréable à Dieu et qu'il ne risque pas d'être condamné en y apportant du retard.

Qu. 118 : Celui qui est empressé au commandement et accomplit cependant, non ce qui lui est ordonné, mais ce qu'il veut lui-même, quel salaire mérite-t-il ?

R. : Celui de la complaisance en soi. Mais comme l'Apôtre dit : "Que chacun plaise à son prochain dans le bien et l'édifie" (Rom 15,2), puis ajoute, plus pressant dans son exhortation : "Car le Christ ne s'est pas recherché" (Rom 15,3), il importe donc à celui qui se recherche de la sorte de connaître le danger qu'il court; par là du reste il se montre également désobéissant.

Qu. 119 : Est-il permis à chacun de refuser le travail qu'on lui impose et d'en chercher un autre ?

R. : La mesure de l'obéissance étant, comme il a été dit, d'obéir jusqu'à la mort, celui qui refuse le travail imposé pour en obtenir un autre, enfreint d'abord l'obéissance et montre clairement qu'il ne s'est pas renoncé lui-même. Il est ensuite, pour lui-même et pour les autres, la cause de bien d'autres maux : il ouvre, en effet, pour plusieurs la porte à la contradiction et s'y habitue lui-même; par suite de l'incapacité de chacun à trouver ce qui lui convient, il lui arrivera souvent de choisir mal; enfin il fera naître chez les frères le mauvais soupçon qu'il a une préférence pour le travail qu'il recherche, ou à l'égard de ceux avec lesquels le travail est à faire.

C'est ainsi qu'en général, ne pas obéir est la racine de maux nombreux et graves.

Si, cependant, on a une raison de récuser un travail, qu'on s'en ouvre aux supérieurs en leur laissant le soin de juger.

Qu. 120 : Convient-il de s'absenter sans avertir le supérieur ?  

R. : Le Seigneur disant : "Je ne suis pas venu de moi-même, mais mon Père m'a envoyé" (Jn 7,28), à combien plus forte raison faut-il que personne n'agisse de sa propre autorité. Celui qui se donne toute liberté montre qu'il est atteint du vice de l'orgueil, et encourt la condamnation du Seigneur : "Ce qui est élevé parmi les hommes est en abomination devant Dieu" (Lc 16,15). En un mot, c'est se rendre coupable que de s'en remettre à soi-même.

Qu. 121 : Peut-on se refuser aux travaux trop pénibles ?

R. : Celui qui aime véritablement Dieu et espère fermement la récompense promise par le Seigneur n'est jamais satisfait de ce qu'il a pu réaliser, mais, toujours, il tend à faire davantage et aspire à mieux.

Si même le travail paraît dépasser ses forces, il ne se résigne pas comme s'il avait donné sa mesure, mais il ne cesse de redoubler d'efforts comme s'il n'avait pas assez fait. Il entend, en effet, le Seigneur lui dire : "Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites alors : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait seulement ce que nous devions faire" (Lc 17,10). Il entend aussi l'Apôtre pour qui le monde était crucifié comme il l'était au monde (Gal 6,14) et qui n'a pas craint de dire : "Pour moi, je ne crois pas avoir obtenu le prix, mais je ne fait qu'une chose : oubliant ce qui est derrière moi et me portant tout entier vers ce qui est en avant, je cours droit au but, pour remporter la récompense à laquelle, d'en Haut, Dieu m'a appelé en Jésus Christ" (Phil 3,12-14). Ce même Apôtre, bien qu'il eut pu, comme ouvrier de l'Évangile, vivre de l'Évangile (1 Cor 9,14), écrit : "Travaillant jour et nuit dans la peine et la fatigue, non que nous ne puissions vivre à votre charge, mais pour vous donner en nous un exemple à imiter" (2 Thes 3,8-9). Après cela, qui donc peut encore manquer à ce point d'intelligence et de foi pour ce contenter de ce qu'il a fait et rejeter un travail parce que pénible et fatigant ?

Qu. 122 : Faut-il admettre qu'un frère, privé de l'eulogie, en punition d'une faute, dise : "Si je n'ai pas l'eulogie, je ne mange pas" ?

R. : Il appartient à celui qui a puni de juger si le coupable mérite aussi d'être privé de nourriture. Cependant, si quelqu'un, jugé seulement indigne de l'eulogie, refuse aussi la nourriture qu'il peut prendre, il doit être condamné comme désobéissant et entêté; il apprendra en même temps à se connaître lui-même et comprendra qu'en agissant de la sorte, loin de se guérir, il ajoute une faute à une autre.

Qu. 123 : Faut-il admettre qu'un frère s'attriste si on ne lui permet pas de faire ce qu'il ne peut faire convenablement ?

R. : Il a été souvent répété que, généralement, faire ce que l'on veut ou ce que l'on se permet n'est pas très raisonnable, et que ne pas se soumettre au jugement d'autrui fait courir les risques de la désobéissance et de l'opiniâtreté.

Qu. 124 : Si l'on rencontre par hasard des hérétiques ou des païens, convient-il de manger avec eux ou même de les saluer ?

R. : Pour ce qui est du salut, du salut ordinaire, bien entendu, le Seigneur ne l'a pas défendu à l'égard de personne, car il a dit : "Si vous saluez vos amis, que faites-vous de spécial ? Les païens n'en font-ils pas autant ?" (Mt 5,47)

Mais pour ce qui est de manger, l'Apôtre nous dit avec qui il faut éviter de le faire : "Je vous écrivais dans ma lettre de ne pas vous mêler aux fornicateurs, mais non de n'avoir absolument aucune relation avec les impurs de ce monde, avec des avares, des gens avides ou des idolâtres, car alors il vous faudrait quitter le monde. J'ai seulement voulu dire de ne pas fréquenter celui qui porterait le nom de frère et cependant serait fornicateur, avare, idolâtre, méchant, ivrogne, médisant ou cupide, et de ne pas même manger avec lui" (1 Cor 5,9-11).

Qu. 125 : Lorsqu'un frère, chargé d'un travail, fait sans rien dire autre chose ou plus que ce qui lui a été commandé, faut-il accepter son travail ?

R. : La volonté propre déplaît généralement à Dieu, et elle n'est ni séante, ni utile à ceux qui ont à coeur de conserver les liens de la paix.

Si le frère persévère dans sa témérité il convient de lui retirer son travail car il n'observe pas l'avertissement que donne l'Apôtre : "Que chacun reste dans sa vocation" (1 Cor 7,24), ajoutant ces paroles plus significatives encore : "N'ayez pas de pensées plus élevées qu'il ne convient, n'en nourrissez au contraire que de sages, selon la mesure de foi que Dieu a répartie à chacun" (Rom 12,3) .

Qu. 126 : Comment ne pas céder à l'attrait du plaisir dans les aliments ?

R. : En décidant de garder toujours pour guide et maître, dans l'usage des aliments que l'on prend, leur côté utile, qu'ils soient agréables ou non.

Qu. 127 : Certains prétendent qu'il est impossible à l'homme de ne pas se mettre en colère.

R. : Cette affirmation ne tient pas, à supposer même qu'un simple soldat, par exemple, puisse se livrer à la colère devant le roi. Si la présence d'un homme par nature semblable à nous, mais revêtu d'une haute dignité, tient la passion en respect, à combien plus forte raison en est-il ainsi lorsqu'on est convaincu que Dieu voit ce qui se passe en nous ? Dieu qui scrute reins et coeurs voit, en effet, bien plus les mouvements de l'âme, que l'homme ne voit ce qu'il a sous les yeux.

Qu. 128 : Faut-il permettre de se priver au-dessus de ses forces, au point de ne plus pouvoir observer la règle établie ?

R. : La question ne me paraît pas bien posée.

La vrai tempérance, en effet, ne consiste pas à s'abstenir d'aliments inertes, par eux-mêmes indifférents, et à traiter ainsi le corps avec une rigueur que l'Apôtre condamne (Col 2,23), mais à renoncer parfaitement à ses volontés propres.

Ce que l'on risque en préférant sa volonté à la loi de Dieu, l'Apôtre l'indique fort bien par ces mots : "Cédant aux volontés de la chair et des pensées nous étions par nature fils de colère" (Eph 2,3).

Qu. 129 : Quelqu'un jeûne beaucoup, mais lorsqu'il mange il ne peut prendre les mêmes aliments que ses frères. Que doit-il préférer : jeûner comme ses frères et manger avec eux, ou bien jeûner avec excès et avoir ensuite besoin d'exceptions aux repas commun ?

R. : L'opportunité du jeûne ne dépend pas de la volonté de chacun mais de l'importance qu'il a dans le service de Dieu; les Actes nous le disent (Ac 13,2-3) et le roi David nous l'apprend (Ps 34,13). Celui qui jeûnerait dans cet esprit mérite d'en avoir vraiment la force, car : "Fidèle est celui qui l'a promis" (Héb 10,23).

Qu. 130 : Comment faut-il jeûner lorsque le jeûne est requis pour un motif religieux ? Comme par force ou volontiers ?

R. : Le Seigneur ayant dit  : "Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice" (Mt 5,6), il est dangereux de ne mettre ni zèle ni empressement dans l'accomplissement de ce qui est du service de Dieu.

Qui jeûne sans le faire volontiers n'est donc pas en sûreté; d'autre part il est nécessaire de jeûner lorsqu'un tel motif intervient, car l'Apôtre, en énumérant, pour nous instruire, ses bonnes oeuvres, dit : "Jeûnant souvent" (2 Cor 11,27).

Qu. 131 : Celui qui ne mange pas ce que prennent les autres et demande une nourriture spéciale, fait-il bien ?

R. : En général c'est contre la règle de demander de la nourriture, car le Seigneur a dit : "Ne vous préoccupez pas de ce que vous mangerez ni de ce que vous boirez, et ne vous inquiétez pas", puis il ajoute, pour frapper davantage : "Car c'est ce que font les païens" (Lc 12,29-30).

Au mandataire en charge de réaliser cette parole : "On donnait à chacun selon ses besoin" (Ac 4,35).

Qu. 132 : Si quelqu'un dit : "Ceci me fait du tort" et s'attriste dès qu'on ne lui donne pas autre chose, qu'est-il ?

R. : Il est clair qu'il n'est ni pénétré de cette espérance dont vivait Lazare, ni persuadé de la charité de celui à qui a été confié le soin de tous et de lui-même.

En général il ne faut pas que chacun se mêle de juger ce qui est bon ou mauvais, mais c'est au supérieur d'apprécier ce qui est utile pour chacun en tenant compte principalement du profit spirituel, et en accordant au corps ce dont il a besoin, selon la volonté de Dieu.

Qu. 133 : Et s'il murmure à cause de la nourriture ?

R. : Il subira la peine de ceux qui murmurèrent dans le désert (Nom.11,1), car l'Apôtre a dit : "Ne murmurez pas, comme certains qui furent mis à mort par l'Exterminateur" (1 Cor 10,10).

Qu. 134 : Si quelqu'un se met en colère et refuse de prendre ce qu'on lui donne pour son usage ?

R. : Qui se conduit ainsi mérite de ne rien recevoir, même s'il le demande, jusqu'à ce que le supérieur ait estimé qu'il est guéri de sa passion, ou plutôt de ses passions.

Qu. 135 : Un frère qui fait un travail pénible doit-il demander lui-même un supplément de nourriture ?

R. : S'il a accepté cette fatigue en vue de la récompense divine, il ne doit pas chercher dès maintenant un soulagement à sa souffrance, mais se préparer à recevoir du Seigneur son salaire, dans la conviction que le Dieu d'amour voudra bien le consoler pour sa peine de la même façon qu'il lui accordera le prix de son travail.

Qu.136 : Est-il obligatoire de se trouver tous ensemble à l'heure du repas ? Et si un frère en est absent et vient lorsqu'il est terminé, que faut-il faire ?

R. : Si un frère n'est pas au repas parce qu'il est empêché par la distance ou par son travail, il observe le précepte de l'Apôtre : "Restez où vous avez été appelés" (1 Cor 7,24) et le préposé à la discipline, informé, donnera son assentiment. Mais s'il peut être avec les autres et ne se presse pas, il se reconnaîtra coupable de négligence et restera à jeun jusqu'à l'heure du repas du jour suivant.

Qu. 137 : Est-il bon de prendre, pour un certain temps, la résolution de s'abstenir, à l'occasion, de quelque chose dans le manger et le boire ?

R. : Puisque le Seigneur a dit : "Pour faire, non ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé" (Jn 6,38), toute décision de la volonté propre est pleine de dangers.

C'est convaincu de cette vérité que David a dit : "J'ai juré et résolu d'observer les jugements de votre justice" (Ps 118,106), et non mes propres vouloirs.

Qu. 138 : Faut-il laisser un membre de la communauté prendre sur lui de jeûner et de veiller plus que les autres ?

R. : Le Seigneur ayant dit : "Je ne suis pas venu du ciel pour faire ma volonté mais pour accomplir celle de mon Père qui m'a envoyé" (Jn 6,38), toute action qui dérive de la volonté propre appartient bien à son auteur, mais n'a aucune valeur devant Dieu et il est à craindre que l'on s'entende dire par Dieu, pour qui l'on croit agir : "Elle se tournera vers toi et tu seras son maître" (Gen 3,16).

D'ailleurs, se comparer aux autres pour faire plus qu'eux, même dans le bien, est une émulation vicieuse dont le principe est la vanité, et l'Apôtre l'a proscrit en disant : "Nous n'avons pas l'audace de nous égaler ou de nous comparer à certains de ceux qui se recommandent eux-mêmes" (2 Cor 10,12). Renonçant donc à nos volontés propres et cessant de vouloir paraître faire plus qu'autrui, obéissons aux objurgations de l'Apôtre : "Que vous mangiez, que vous buviez ou quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu" (1 Cor 10,31). Rivaliser, chercher la vaine gloire, satisfaire ses propres goûts, tout cela est absolument étranger à celui qui combat régulièrement le bon combat; aussi l'Apôtre dit-il, tantôt : "Ne devenons pas avides de vaine gloire" (Gal 5,26), tantôt : "Si quelqu'un aime les contentions, ni nous, ni l'Église de Dieu n'avons cette habitude" (1 Cor 11,16), ou encore "Nous ne devons pas faire ce qui nous plaît", ajoutant pour nous toucher davantage : "car le Christ n'a pas cherché ce qui lui plaisait" (Rom 15,1-3). Si un frère croit avoir besoin de plus de jeûnes, plus de veilles ou plus de n'importe quoi, il exposera aux supérieurs les raisons pour lesquelles il considère cette nécessité fondée; il s'en tiendra ensuite à ce que ceux-ci auront décidé, car il vaudra souvent mieux y pouvoir d'une toute autre manière.

Qu. 139 : Les jeûnes affaiblissent prologés pour le travail. Que faut-il donc préférer : le jeûne sans pouvoir travaillern ou le travail en négigeant le jeûne ?

R. - Jeûne-t-on ou ne jeûne-t-on pas, il importe que ce soit pour un motif propre à la piété. Si la Volonté de Dieu est que l'on jeûne, accomplissons-la en jeûnant; si elle exige que l'on fortifie le corps par les aliments, mangeons, non comme des gloutons, mais en ouvriers de Dieu, car il faut observer ce que dit l'Apôtre : " Que vous mangiez, que vous buviez ou quoi que vous fassiez, faites-le tout pour la Gloire de Dieu." (1 Cor 10,31)

Qu. 140 : Si 'loin de s'abstenir d'aliments nuisibles, un frère en prend avec excès et tombe ensuite malade, faut-il le soigner ?

R. - L'intermerénce manifeste les tendances mauvaises qui sont en nous, elle est un vice dont il faut particulièrement s'appliquer à se guérir. Pour montrer combien elle est un grand mal, le Dieu d'amour la permet souvent même à l'égard d'aliments nuisibles pour le corps, afin que l'âme, constatant en lui ses tristes effets, soit amenée à comprendre le tort qu'elle se fait à elle-même et à se prescrire la tempérance en tout.

Il est sans doute utile et raisonnable de soigner immédiatement le corps lorsqu'il souffre pour avoir absorbé des choses nuisibles, mais il ne faut pas le faire sans discernement, ni sans s'être demandé si en donnant des attentions au corps on ne néglige pas l'âme.

Si on constate donc que tout en recevant les soins corporels, un frère prend des habitudes plus sages et veille à guérir son âme de ses défauts, on devra les lui donner; mais si on s'aperçoit qu'il se laisse soigner sans s'occuper de son âme, il est préférable de l'abandonner aux suites douloureuses de son intempérance. Peut-être qu'avec le temps, il pourrait prendre conscience de son état et du châtiment éternel, et se préoccuper alors de la santé de son âme, "car le Seigneur nous juge et nous châtie pour que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde" (1 Cor 11,32).

Qu. 141  : Convient-il de rencontrer dans les ateliers des étranger ou même des frères qui devraient être occupés ailleurs ?

R. : En dehors du frère chargé de la surveillance des travailleurs ou de la distribution du travail, celui qui sera rencontré dans les ateliers, étant un élément de trouble pour la discipline, recevra l'interdiction de paraître même légitimement en communauté. Consigné dans l'endroit que l'on aura jugé convenir pour son châtiment, il s'y livrera, sans en sortir, à un travail plus pénible que d'ordinaire et cela jusqu'à ce qu'il ait appris à observer cette parole de l'Apôtre : "Restez où vous avez été appelés" (1 Cor 7,24).

Qu. 142  : Ceux qui exercent un métier peuvent-ils accepter un travail à l'insu du frère chargé de s'occuper d'eux ? R. : Celui qui le donne et celui qui l'accepte, chacun encourt le jugement porté contre le voleur ou son complice.

Qu. 143  : Comment ceux qui travaillent doivent-ils prendre soin des outils mis à leur disposition ?

R. : Premièrement comme d'objets voués et consacrés à Dieu; ensuite, comme d'instruments sans lesquels ils ne pourraient montrer le zèle infatigable auquel ils sont tenus.

Qu. 144  : Si un frère perd un outil par négligence, ou en mésuse par dédain ?

R. : Celui qui en mésuse doit être regardé comme un sacrilège, et celui qui le perd comme responsable d'un sacrilège, car tous les outils sont dédiés au Seigneur et consacrés à Dieu.

Qu. 145  : Et si de sa propre autorité il le prête à quelqu'un ou le reçoit ?

R. : Il sera regardé comme téméraire et présomptueux, car faire cela appartient en propre à celui qui est chargé du gouvernement et de l'administration.

Qu. 146  : Et si un frère refuse un outil au supérieur qui en a besoin et le lui demande ?

R. : Comment celui qui s'est mis lui-même avec tous ses membres au service des autres dans la charité du Christ pourrait-il refuser un outil au supérieur, qui en a aussi la responsabilité ?

Qu. 147  : Si un frère occupé au cellier, à la cuisine ou ailleurs ne se hâte pas pour prendre sa part régulière à la psalmodie et à la prière, n'est-ce pas au détriment de son âme ?

R. : Comme un membre dans le corps, chacun, en faisant son travail, observe la règle qui le concerne. En négligeant sa tâche, il se fait du tort à lui-même, et il court les plus grands risques lorsqu'il ne tient pas compte des intérêts communs. Il observera donc consciencieusement cette recommandation : "Chantant et louant le Seigneur dans vos coeurs" (Eph 5 :19) et s'il ne peut, en se hâtant, rejoindre les autres, il ne doit pas se troubler, car il réalise ces paroles : "Restez où vous avez été appelés" (1 Cor 7 :24).

Il faut bien prendre garde, cependant, que pouvant terminer à temps sont travail, pour le bon exemple, on ne se fasse pas un prétexte de son occupation, pour le scandale des autres, et on ne mérite la condamnation encourue par les négligents.

Qu. 148  : Quelle limite a, dans l'administration, le pouvoir de celui qui a la charge du cellier ?

R. : Vis-à-vis du Supérieur qui, après l'avoir éprouvé, lui a confié cette charge, il se souviendra des paroles du Seigneur : "Je ne puis rien faire de moi-même" (Jn 5,30), et à l'égard des frères il agira selon les besoins de chacun, car il est écrit : "On donnait à chacun selon ses besoins" (Ac 4,35). Cette parole vaut pour tous ceux qui ont reçu des charges semblables.

Qu. 149  : Que penser de l'économe s'il fait acception des personnes ou aime à contester ?

R. : D'après l'Apôtre qui tantôt exhorte à ne rien faire par inclination (1 Tim.5 :21), et tantôt déclare : "Si quelqu'un aime les contestations, nous n'avons pas cette habitude, ni nous, ni les Églises de Dieu" (1 Cor 11 :16), il faut le tenir pour étranger à l'Église de Dieu jusqu'à ce qu'il se corrige.

On doit, toutefois, examiner soigneusement les aptitudes de chacun avant de lui confier une charge, de peur que ceux qui la donnent à qui elle ne convient pas, ne se voient condamner pour avoir été de mauvais administrateurs des âmes et des volontés de Dieu, et que ceux qui la reçoivent ne semblent y trouver une excuse à leurs fautes.

Qu. 150  : Et si par négligence il ne donne pas à un frère ce dont il a besoin ?

R. : On peut manifestement lui appliquer ces paroles du Seigneur : "Éloignez-vous de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le démon et pour ses anges, car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire..." (Mt 25,41-42), et celles-ci : "Maudit celui qui accomplit avec négligence l'oeuvre du Seigneur" (Jér 48,10).

Qu. 151  : Peut-on, en remplissant son service, élever très fort la voix en parlant ?

R. : Il faut parler de manière à se faire entendre. Si la voix est trop basse elle est aussi trop faible et, par la suite, se rapproche du chuchotement, ce qu'il faut blâmer; si elle s'élève plus qu'il n'est nécessaire quand l'auditeur est à même de saisir une parole calme, elle devient clameur condamnée par l'Apôtre (Eph 4,31).

Cependant l'indolence de l'auditeur peut nous forcer à crier et comme à le réveiller de sa torpeur; c'est, en effet, ce que l'évangéliste raconte de Jésus : "Il s'écria, dit-il, d'une voix forte : celui qui croit en moi ne croit pas en moi, mais en celui qui m'a envoyé" (Jn 12 ,44).

Qu. 152  : Si un frère, lorsque vient son tour de service à la cuisine, s'y fatigue au-delà de ses forces, au point de ne plus pouvoir accomplir son travail ordinaire pendant plusieurs jours, convient-il de lui imposer ce service ?

R. : Nous l'avons dit : celui qui est chargé de distribuer le travail doit donner ses ordres en tenant compte des aptitudes et des forces de ceux qui ont à s'en acquitter, de peur qu'on ne dise de lui : "Il écrase sous le couvert de la loi" (Ps 93 :20).

Cependant celui qui reçoit l'ordre ne doit pas se révolter, car l'obéissance va jusqu'à la mort.

Qu. 153  : Comment la soeur préposée aux laines doit se comporter et comment elle doit traiter celles qui les travaillent.

R. : Elle doit considérer les laines comme un dépôt confié à ses soins et assigner à chaque Soeur sa part de travail sans esprit de contention ni acception de personnes.  

Qu. 154  : Lorsque des frères peu nombreux ont à prêter leur ministère à des Soeurs très nombreuses et sont obligés de s'éloigner pour aller chacun à sa tâche, est-ce bien sans danger pour eux ?

R. : S'il montre n'avoir d'autre souci que d'obéir à l'ordre du Seigneur et se conduit selon Dieu, tout frère qui rempli sa tâche personnelle plaît à Dieu; l'unité se vérifie par l'union des âmes, la communauté d'idéal et la réalisation de la parole de saint Paul : "Même corporellement absent, je suis cependant avec vous en esprit" (Col 2,5).

Qu. 155  : Nous qui pourvoyons aux nécessités des étrangers reçus à l'hôtellerie, nous avons appris à les servir comme les frères du Seigneur, mais si celui que nous soignons ne l'est pas, comment agirons-nous à son égard ?

R. : Le Seigneur ayant dit : "Celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma soeur et ma mère" (Mt 12,50) , quiconque n'est pas dans ces dispositions et commet le péché encourt évidemment ce jugement : "Le pécheur est esclave du péché" (Jn 8,34). Le supérieur devra donc lui porter ses avertissements et ses exhortations.

S'il persévère malgré cela dans le même état, il mérite assurément la condamnation du Seigneur qui ajoute : "...et l'esclave ne doit pas rester dans la maison" (Jn 8,35), et celle de l'Apôtre : "Éloignez le méchant du milieu de vous" (1 Cor 5,13). Ainsi seront tranquilles ceux qui le servaient et en sécurité ceux qui se trouvaient avec lui.

Qu. 156  : Celui qui a la charge du cellier ou toute autre de ce genre, doit-il la garder toujours ou faut-il parfois le changer ?

R. : S'il s'en acquitte avec sens de l'ordre et fidélité à la règle, il est inutile de changer, ce serait plutôt déplaisant et difficile. Il est nécessaire, par contre, de lui adjoindre un aide qu'il puisse former peu à peu dans sa charge, de crainte que, la nécessité venue de lui donner un successeur, nous ne soyons embarrassés pour en trouver un, et que nous soyons alors obligés d'établir un incapable dans cette fonction; son impéritie causerait fatalement la ruine de l'observance et détruirait la bonne discipline.

Qu. 157  : Dans quelle disposition d'âme faut-il servir Dieu, et qu'est-ce, en général, que cette disposition ?

  R. : A mon sens, la disposition parfaite consiste à être animé d'un désir de plaire à Dieu ardent, insatiable, inébranlable et immuable. Elle s'obtient par la contemplation intelligente et soutenue de la grandeur des gloires de Dieu et par la pensée reconnaissante et le souvenir continuel des bienfaits reçus de Lui. Ainsi l'âme obéit au commandement : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toutes tes forces, de tout ton esprit" (Mc 12 :30), et réalise ces paroles : "Comme le cerf assoiffé de l'eau des fontaines, ainsi mon âme aspire vers toi, mon Dieu" (Ps 41 :1).

Telles sont les dispositions requises dans le service de Dieu, selon les paroles de l'Apôtre : "Qui nous séparera de la charité du Christ ? la tribulation ? l'angoisse ? la persécution ? la nudité ? les périls ? le glaive ?" et la suite (Rom 8 :35).

Qu. 158  : Avec quels sentiments faut-il accepter une punition ?

R. : Avec les sentiments d'un enfant malade dont la vie est en jeu, soigné par un père médecin.

Même si la médication est amère et douloureuse, il se confie à l'affection et à la sagesse de celui qui le punit et n'envisage que sa guérison.

Qu. 159  : Comment est celui qui se montre chagrin à l'égard de celui qui le punit ?

R. : Il ne comprend ni le danger auquel il s'expose par le péché, spécialement vis-à-vis de Dieu, ni ce qu'il a à gagner en faisant pénitence; il ne croit pas en la vérité de ces paroles : "Qui aime bien châtie bien" (Pro 13 :24); il se prive de l'avantage dont parle le psalmiste : "Dans sa miséricorde le juste me corrigera et me reprendra" (Ps 140 :5); enfin, il nuit à ses confrères en les détournant de leurs efforts.

Qu. 160  : Dans quel esprit devons-nous servir nos frères ?

R. : En considérant ce service comme rendu au Seigneur lui-même qui a dit : "Tout ce que vous avez fait au moindre de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25 :40).

Si tels sont bien également ceux que nous servons, ce sera alors chose facile; aussi les supérieurs veilleront-ils avec le plus grand soin à ce que l'amour du corps ne les fasse pas esclaves de la gourmandise et de la sensualité mais que l'amour de Dieu et du Christ les fasse plutôt, comme le juste Job, glorifier Dieu et mépriser le démon dans la patience parfaite.

Qu. 161  : Avec quels sentiments d'humilité doit-on recevoir les bons offices d'un frère ?

R. : Avec les sentiments d'un esclave servi par son maître et ceux que montre l'apôtre Pierre servi par le Seigneur, exemple où l'on voit le danger que l'on court à refuser de se laisser servir.

Qu. 162  : Quelle charité devons-nous avoir les uns pour les autres ?

R. : Celle que le Christ a montrée et enseignée en disant : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Personne ne peut aimer plus qu'en donnant sa vie pour ses amis" (Jn 15 :12-13).

S'il faut aller jusqu'au don total de sa vie, à combien plus forte raison devons-nous montrer de l'empressement dans le don partiel, non pour satisfaire à des obligations humaines mais être utiles à chacun dans le but de plaire à Dieu.


IKTHYS                                   --> 5^ partie