SAINT
BASILE LE GRAND
LES
PETITES RÈGLES
~ 6 ~
Qu.
218 : Quelle intelligence devons-nous demander à Dieu, et comment
pourrons-nous la mériter ?
R.
: Dieu lui-même nous enseigne par le prophète ce qu'est l'intelligence :
"Le sage, dit-il, ne se glorifiera point de sa sagesse, le fort de sa
force, le riche de sa richesse, mais quiconque se glorifie se glorifiera de ce
qu'il connaît et comprend le Seigneur" (Jér.9 :23-24), et par l'Apôtre
qui dit aussi : "Ayant l'intelligence de la volonté de Dieu"
(Eph 5 :17).
Nous
pouvons la mériter si nous faisons comme dit le psaume : "Arrêtez-vous
et comprenez que je suis Dieu" (Ps 45 :11), et si nous sommes
convaincus de la vérité de toute parole divine : "Car si vous ne
croyez pas, est-il dit, vous ne comprendrez pas" (Is.7 :9 (LXX)).
Qu.
219 : Lorsque nous sommes redevables à quelqu'un d'un bienfait, comment
pourrons-nous d'une part, rendre à Dieu l'action de grâce pure et parfaite qui
lui revient, et, d'autre part, nous acquitter dignement, envers le bienfaiteur,
sans dépasser la mesure ni rester en deçà ?
R.
: Si nous sommes persuadés qu'en Dieu est la cause première et la cause de
tout bien, et si nous reconnaissons celui par qui il nous vient comme ministre
de la bonté de Dieu.
Qu.
220 : Doit-on permettre à qui le désire de s'adresser aux Soeurs ?
Qui peut parler avec les Soeurs ? A quel moment ? De
quelle façon ?
R.
: A ce sujet, nous avons dit déjà dans les Grandes Réponses (voir Grandes Règles
33 et 45) que non seulement un homme ne peut parler à une femme, mais qu'un
homme ne peut même pas converser à son gré, tout bonnement et au hasard des
rencontres, avec un autre homme. Celui-là seul peut parler qui est reconnu
pouvoir le faire utilement pour l'interlocuteur et pour lui-même, et encore,
pas avec une femme.
Si
l'on se souvient de ce que dit le Seigneur : "Les hommes rendront
compte au jour du jugement de toute parole inutile" (Mt 12 :36), on
redoutera dans tout ce que l'on fait d'encourir un jugement de ce genre. On obéira
plutôt à la recommandation de l'Apôtre : "Que vous mangiez ou que
vous buviez ou quoi que vous fassiez faites tout pour la gloire de Dieu" (1
Cor 10 :31) et, suivant cette autre : "Que tout se fasse de manière
à édifier" (1 Cor 14 :26), on ne voudra rien faire d'oiseux ou
d'inutile.
Pour
ce qui est de la personne, du temps et de la manière, on veillera à éviter même
le soupçon du mal. On se gardera de tout ce qui peut scandaliser et l'entretien
aura pour but l'édification de la foi. Il n'est cependant pas opportun non plus
de permettre des entretiens seul à seul : "Deux valent mieux
qu'un" (Eccli.4 :9 (LXX)), est-il dit, et en même temps ils sont plus
dignes de foi. Par contre : "Malheur à qui est seul parce que s'il
tombe, personne ne l'aidera à se relever" (Eccli.4 :10).
Qu.
221 : Le Seigneur nous enseigne à prier pour ne point tomber en
tentation, mais devons-nous aussi prier pour ne pas tomber sous l'épreuve de la
souffrance physique ? Et si nous la rencontrons, comment la supporter ?
R.
: Le Seigneur n'a pas déterminé le genre de tentation, Il a dit en général :
"Priez afin que vous ne tombiez pas en tentation" (Lc 22 :40).
Pour
celui qui s'y trouve déjà, il doit prier le Seigneur de bien vouloir, avec la
tentation, lui ménager une heureuse issue en lui donnant la force de la
supporter (1 Cor 10 :13), afin que s'accomplisse en nous cette parole : :
"Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé" (Mt 24 :13).
Qu.
222 : Qui est l'adversaire (Mt 5 :25) de chacun de nous ? Et
comment nous accorderons-nous avec lui ?
R.
: Le Seigneur spécifie ici soigneusement que l'adversaire est celui qui essaye
de nous enlever de ce qui est à nous.
Nous
nous accordons avec lui lorsque nous observons cette recommandation du Seigneur :
"A celui qui veut t'amener en justice pour avoir ta tunique, donne aussi
ton manteau" (Mt 5 :40), et nous satisfaisons de même en toute
occasion semblable.
Qu.
223 : Le Seigneur a dit : "Pour toi, quand tu jeûnes, parfume
ta tête et lave ton visage, afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes"
(Mt 6 :17). Mais si on veut jeûner pour un motif agréable à Dieu comme
le font manifestement souvent les saints, et si on est vu malgré soi, que faire ?
R.
: Ce commandements s'adresse à ceux qui observent avec zèle la loi de Dieu
pour être vus des hommes et il tend à les affranchir du vice de la vanité.
Si,
au contraire, on observe la loi en vu de la gloire de Dieu, il ne convient
naturellement pas que ceux qui aiment Dieu s'en cachent, le Seigneur nous le dit
en ces termes : "La ville ne peut être cachée lorsqu'elle est sur
une hauteur et on n'allume pas un flambeau pour le mettre sous le boisseau"
(Mt 5 :14-15), etc...
Qu.
224 : Arrive-t-il encore maintenant que les uns travaillent dès la première
heure et d'autres à partir de la onzième seulement ? (Mt 20 :2) Qui
sont ces derniers ?
R.
: Tout le monde sait, sans doute, par les récits de l'Écriture, que beaucoup,
au dire de l'Apôtre, apprennent les saintes lettres dès l'enfance (2 Tim.3 :15),
tandis que d'autres, à l'exemple de Corneille, font bon emploi de leurs
aptitudes naturelles (Act.10 :2), mais parviennent tardivement à une
connaissance parfaite, et cela faute de maîtres pour les instruire, car :
"Comment croiront-ils, s'ils n'ont pas entendu prêcher ?" (Rom
10 :14)
S'il
en est donc, comme Corneille, qui n'ont rien fait de mal, et, désirant la
perfection, s'appliquent loyalement à faire le bien qu'ils peuvent dès qu'ils
le connaissent, Dieu leur accorde la même grâce qu'à Corneille. Il ne leur
fait pas un crime du temps passé dans l'inaction, puisque, comme je l'ai dit,
ce n'est pas de leur faute, mais il se contente de la bonne volonté avec
laquelle ils montrent leur zèle à l'occasion, et s'efforcent de bien agir
jusqu'au bout.
Qu.
225 : Comment méritons-nous que se réalise cette parole du Seigneur :
"quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je serais au milieu d'eux" ?
(Mt 18 :20)
R.
: Ceux qui sont réunis au nom de quelqu'un doivent savoir dans quel dessein
celui-ci les a rassemblés, et s'y conformer, s'ils veulent lui plaire sans
encourir le reproche de négligence ou de mauvaise volonté. Ceux qui ont été
convoqués dans le but de moissonner se préparent à moissonner et ceux qui ont
été appelés pour bâtir se préparent à bâtir.
Ainsi,
nous qui avons été appelés par le Seigneur, nous devons nous souvenir des
paroles de l'Apôtre : "Moi, mis en prison pour le Seigneur, je vous
en supplie, marchez dignement selon votre vocation, en toute humilité et
douceur, avec patience et en vous supportant mutuellement dans la charité,
soucieux de garder l'unité de l'esprit dans le lien de la paix. Demeurez un
seul corps et un seul esprit comme vous avez été appelés dans une même espérance"
(Eph 4 :1-4). Le Seigneur nous montre tout cela mieux encore lorsqu'il nous
fait à chacun cette promesse : "Celui qui m'aime observera mes
commandements et mon Père l'aimera; nous viendrons à lui et nous établirons
notre demeure en lui" (Jn 14 :23). Comme cette présence dépend pour
celui-ci de l'observation des commandements, ainsi Dieu se trouve au milieu de
deux ou trois (Mt 18 :20) lorsqu'ils se sont groupés pour l'accomplissement
de sa volonté. Ceux qui ne s'unissent ni dignement selon leur vocation, ni pour
faire la volonté de Dieu, même s'ils paraissent s'être rassemblés au nom de
Dieu, méritent cependant de s'entendre dire : "Pourquoi m'appelez-vous
Seigneur, Seigneur, et ne faites pas ce que je vous dit ?" (Lc 6 :46)
Qu.
226 : L'Apôtre a dit : "Lorsqu'on nous maudit, nous bénissons;
lorsqu'on nous calomnie, nous répondons par des consolations" (1 Cor 4 :12).
Mais comment doit bénir celui qui est maudit, et consoler celui qui est calomnié ?
R.
: En somme, je crois que l'Apôtre a voulu nous apprendre ici, par son exemple,
à user de patience envers tous et à rendre le bien pour le mal. Ce n'est donc
pas seulement envers ceux qui nous maudissent que nous devons agir de la sorte,
mais encore envers quiconque nous fait du mal, selon cette parole :
"Ne vous laissez pas vaincre par le mal mais tâchez de vaincre le mal par
le bien" (Rom 12 :21).
Pour
ce qui est de consoler, l'Écriture peut employer ce mot non dans le sens
habituel, mais dans le sens d'amener le coeur à la pleine connaissance de la vérité :
"Consolez mon peuple" (Is.40 :1 (LXX)) dit le Seigneur, et l'Apôtre
dit : "Je désire vous voir pour vous communiquer quelque don capable
de vous affermir, c'est-à-dire pour nous consoler mutuellement par la foi qui
nous est commune à vous et à moi" (Rom 1 :11-12), et ailleurs :
"Celui qui console les humbles m'a consolé par l'arrivée de Tite" (2
Cor.7 :6).
Qu.
227 : Faut-il révéler ses pensées à d'autres ou, dans la conviction
qu'elles plaisent à Dieu, les garder pour soi ?
R.
: Nous nous souvenons de cette déclaration que Dieu fait par la bouche du prophète :
"Malheur à vous qui êtes sages en vous-mêmes et prudents à vos propres
yeux" (Is.5 :21), et de ces paroles de l'Apôtre : "Je désire
vous voir afin de vous communiquer quelque don spirituel capable de vous
affermir, c'est-à-dire pour nous consoler mutuellement dans la foi qui nous est
commune à vous et à moi" (Rom 1 :11-12).
Aussi
nous pensons qu'il nous est nécessaire de nous en référer à ceux qui nous
sont moralement unis et ont donné des preuves de leur foi et de leur prudence.
De la sorte ce qui en nous est faussé sera redressé, le bien sera affermi, et
par là nous éviterons d'être condamnés avec ceux qui sont prudents à leurs
propres yeux.
Qu.
228 : Faut-il en toute circonstance se plier à la mentalité de ceux qui
se scandalisent, ou bien faut-il parfois ne pas condescendre, même si certains
se scandalisent ?
R.
: Interrogés déjà à ce sujet, nous avons montré clairement la distinction
à faire et nous avons donné la réponse la meilleure que nous avons pu. (Voir
P.R.64)
Qu.
229 : Les fautes dont on est coupable, doit-on, sans aucune pudeur, les révéler
à tous ? ou à quelques-uns seulement ? comment doivent-ils être ?
R.
: Il faut confesser ses fautes avec autant de discrétion qu'on découvre ses
maladies physiques. Comme on ne montre celles-ci ni à tout le monde ni à n'importe
qui, mais à ceux-là seulement qui ont appris à les soigner, ainsi ne
convient-il de confesser ses péchés qu'à ceux-là qui peuvent guérir,
suivant cette parole : "Vous qui êtes forts portez les infirmités
des faibles" (Rom 15 :1), c'est-à-dire soulagez-les activement par
vos soins.
Qu.
230 : Qu'est-ce qu'un culte, et qu'est-ce que le culte raisonnable ?
(Rom 12 :1)
R.
: Un culte est, me semble-t-il, un dévouement continu, persévérant et
attentif au service de celui auquel il est rendu. L'Apôtre nous indique la différence
entre le culte raisonnable et celui qui ne l'est pas, en disant : "Vous
savez que lorsque vous étiez païens, vous vous laissiez conduire et entraîner
vers les idoles muettes" (1 Cor 12 :2), et : "Offrez vos
corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu; c'est le culte
raisonnable qui lui est dû" (Rom 12 :1).
Celui
qui se laisse entraîner partout où on le conduit, rend un culte non
raisonnable, puisqu'il ne se laisse pas diriger par la raison et n'agit ni de
son propre mouvement ni de sa propre volonté, mais se laisse entraîner au gré
de celui qui le mène, n'importe où et contre son propre gré. Celui qui est mû
par une raison saine et une volonté droite, et, partout et toujours, recherche
et accomplit le bon plaisir de Dieu, celui-là rend un culte parfait et
raisonnable, car il est dit : "Ta loi est une lampe pour mes pas et
elle éclaire le sentier où je marche" (Ps 118 :105), et encore :
"Je prends conseil de tes loi" (Ps 118 :24).
Qu.
231 : Si un frère ou peut-être même un Prêtre agit mal à mon égard
et me montre de l'aversion, m'est-il encore possible de le traiter comme le
Seigneur veut qu'on traite son ennemi ?
R.
: En disant comment il faut se comporter envers un ennemi le Seigneur n'a pas
fait de distinction ni de haine ni d'ennemi, ou plutôt il a montré que la même
faute est plus grave chez ceux qui occupent une situation plus élevée, car il
leur a dit : "Pourquoi voyez-vous la paille dans l'oeil du voisin et
ne voyez-vous pas la poutre dans le vôtre ?" (Mt 7 :3)
C'est
donc envers eux et envers ceux qui passent pour être plus en vue qu'il faut
montrer plus de zèle et d'égards. Aussi bien, dans le service que nous devons
leur rendre en les exhortant et en les reprenant, mettons toute la discrétion
voulue, et, après avoir observé à leur égard tous les autres préceptes du
Seigneur, nous nous garderons également sans reproches sur ce point.
Qu.
232 : Agit-il selon le Seigneur celui qui, pour pratiquer la patience et
la résignation, accepte une injustice qu'on lui fait, sans rien dire à
personne, et pense s'en remettre au jugement de Dieu ?
R.
: Le Seigneur a dit : "Pardonnez si vous avez quelque chose contre
quelqu'un" (Mc 11 :25), et : "Si un frère a péché contre
toi, va et reprends-le entre toi et lui seul; s'il t'écoute tu auras gagné ton
frère. S'il ne t'écoute pas, prends avec toi encore une ou deux personnes afin
que la parole de deux ou trois témoins ait plus de valeur. S'il ne les écoute
pas, dis-le à l'Église et s'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour toi
comme un païen et un publicain" (Mt 18 :15-17).
Il
faut donc pratiquer la patience et prier en toute sincérité pour quiconque
nous a fait du tort, en disant : "Seigneur ne lui imputez pas à péché"
(Act.7 :59). Ainsi on n'encourra pas le jugement de Dieu pour être irrité
contre son frère.
On
doit cependant en outre lui faire remarquer sa faute en la lui montrant, afin
que lui aussi échappe à la colère suspendue sur les enfants de désobéissance.
Si, pour pratiquer personnellement la patience, on néglige cette correction et
on se tait, alors on tombe dans une double faute : on transgresse d'abord
soi-même le commandement : "Tu reprendras ton prochain pour ne pas te
charger d'un péché à cause de lui" (Lév.19 :17 (LXX)), et on
devient par son silence le complice du pécheur; ensuite on laisse périr dans
le mal celui qu'on pourrait peut-être sauver par des remontrances, comme le
Seigneur le prescrit (Mt 18 :15).
Qu.
233 : Lorsque, même si on observe tous les autres commandements, on en
omet un seul, manque-t-on pour cela son salut ?
R.
: Il y a, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, bien de quoi convaincre sur ce
point; néanmoins je crois qu'il suffira, pour un croyant, de considérer le
jugement porté contre Pierre. Celui-ci, après s'être bien comporté en tant
d'occasions diverses, après avoir reçu du Seigneur tant de louanges et de
promesses, eut l'air de désobéir en une seule circonstance, et cela non par négligence
ou mépris, mais par piété et respect envers le Seigneur; cependant, pour cet
unique refus, il s'entendit dire : "Si je ne te lave pas, tu n'auras
point de part avec moi" (Jn 13 :8).
Qu.
234 : Comment annonce-t-on la mort du Seigneur ?
R.
: Comme le Seigneur l'a enseigné par ces mots : "Si quelqu'un vient
à moi, qu'il se renonce et prenne sa croix" (Mt 16 :24), et comme
l'Apôtre l'a montré en disant : "Le monde est crucifié pour moi et
je le suis pour lui" (Gal.6 :14). C'est, du reste, ce que nous avons
accepté d'avance dans le baptême : "Baptisés dans le Christ, nous
avons été baptisés dans sa mort" (Rom 6 :3) et, pour expliquer
"être baptisés dans la mort du Seigneur", il ajoute :
"Notre vieil homme est crucifié avec lui pour la destruction de la chair
de péché, de façon que nous ne soyons plus esclaves du péché" (Rom 6 :6).
En nous purifiant donc de toute attache à la vie nous deviendrons dignes du témoignage
de l'Apôtre : "Vous êtes mort, et votre vie est cachée avec le
Christ en Dieu" (Col.3 :3). Nous pourrons dire alors, librement et
avec assurance : "Le prince de ce monde vient, et il n'a rien en
moi" (Jn 14 :30).
Qu.
235 : Convient-il d'interroger beaucoup les Écritures ?
R.
: On peut distinguer, d'une façon très générale, ceux qui sont appelés à
commander et ceux qui sont tenus à l'obéissance et à la soumission, selon les
différentes grâces. Or, à mon avis, celui qui a reçu la charge de commander
à d'autres et de s'occuper d'eux, doit être au courant et s'informer de tout
afin de pouvoir instruire ses inférieurs des lois divines et enseigner à
chacun ce qui le regarde personnellement.
Quant
aux autres, chacun doit se souvenir des paroles de l'Apôtre : "N'ayez
pas de vues trop élevées, mais soyez raisonnables, chacun suivant les dons que
Dieu lui a départis" (Rom 12 :3), s'instruire avec soin de son
devoir, et l'accomplir sans chercher plus loin; ainsi deviendra-t-il digne de
l'appel du Seigneur : "Venez, bon serviteur, puisque vous avez été
fidèle dans de petites choses, je vous établirai sur de grandes" (Mt 25 :21).
Qu.
236 : Comment, ceux qui ont été jugés dignes d'étudier les quatre Évangiles
doivent-ils profiter de cette grâce ?
R.
: Le Seigneur ayant déclaré : "A celui à qui il aura été plus
donné il sera demandé davantage" (Lc 12 :48), ils devront montrer
plus de crainte et de zèle, suivant le conseil de l'Apôtre : "Nous,
ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de
Dieu" (2 Cor.6 :1). Cela se réalise lorsque nous ajoutons foi à
cette parole du Seigneur : "Si vous savez ces choses, vous êtes
heureux, pourvu que vous les pratiquiez" (Jn 13 :17).
Qu.
237 : Quelle âme se dirige suivant la volonté de Dieu ?
R.
: Celle qui accepte cette prémisse du Seigneur : "Si quelqu'un vient
à moi, qu'il se renonce, prenne sa croix et me suive" (Mt 16 :24).
Aussi longtemps qu'elle n'a pas réussi à se renoncer et à porter sa croix,
elle trouvera en elle-même bien des obstacles à sa marche à la suite du
Christ.
Qu.
238 : Est-il possible de se livrer sans répit à la psalmodie, la
lecture, les conversations sérieuses au sujet des paroles divines, sans qu'il y
ait absolument aucun intervalle qui s'impose pour les nécessités les plus
viles du corps ?
R.
: L'Apôtre nous donne la règle à suivre : "Faites tout avec ordre
et bienséance" (1 Cor 14 :40). Il faut donc avoir souci de l'ordre et
de la bienséance suivant le lieu et le moment.
Qu.
239 : Quel est le bon trésor et quel est le mauvais ?
R.
: La sagesse qui dirige toute vertu chrétienne vers la gloire de Dieu est le
bon trésor; l'astuce de la nature viciée à la recherche de ce qui est défendu
par le Seigneur, voilà le mauvais trésor. C'est d'eux que, selon la parole du
Seigneur (Mt 12 :35), chacun tire, dans ses actions ou ses paroles, le mal
ou le bien.
Qu.
240 : Dans quel sens est-il dit que large est la porte et spacieux le
chemin qui conduit à la perdition ? (Mt 7 :13)
R.
: Le Seigneur, dans sa bonté envers les hommes, emploie pour exposer les dogmes
de la vérité, des mots et des termes connus. Comme, sur cette terre, large est
l'espace qui s'étend à côté du droit chemin, ainsi, dit-il, celui qui
abandonne le chemin conduisant au royaume des cieux, se trouve dans l'immense
champ de l'erreur.
Large
et spacieux sont, me semble-t-il, des termes synonymes car large, même chez les
auteurs profanes signifie étendu : le champ, c'est-à-dire le terrain de
l'erreur qui aboutit à la perdition est donc étendu.
Qu.241
: Comment la porte est-elle étroite, et resserré le chemin qui conduit
à la vie, et comment s'y engage-t-on ? (Mt 7 :14)
R.
: Ici encore les mots étroite et resserré ne diffèrent pas de signification,
mais resserré renforce le sens d'étroit, la voie étant tellement étroite
qu'elle enserre, c'est-à-dire, contient de chaque côté celui qui marche, lui
présentant un danger s'il s'écarte à droite ou à gauche. Ainsi celui qui
passe sur un pont, s'il dévie d'un côté ou de l'autre, il tombe dans le
fleuve qui coule en dessous. D'où David dit : "Ils placent des embûches
le long de ma route" (Ps 139 :6).
Celui
qui veut entrer dans la vie par la voie étroite et resserrée doit se garder de
s'éloigner et de dévier des commandements du Seigneur, et se conformer à la
parole de l'Écriture : "Ne t'écarte ni à droite ni à gauche"
(Deuter.17 :11).
Qu.
242 : Que signifie : "Vous aimant fraternellement avec
tendresse" ? (Rom 12 :10)
R.
: La tendresse peut exprimer l'intensité de l'affection dans le désir, et dans
l'ardent sentiment que se témoignent ceux qui s'aiment. C'est donc pour que la
charité fraternelle ne soit pas superficielle mais intérieure et chaude qu'il
a été dit : "Vous aimant fraternellement avec tendresse".
Qu.
243 : Que veut dire l'Apôtre par ces mots : "Soyez en colère
mais ne péchez point; que le soleil ne se couche pas sur vos irritations"
(Eph :4 :26), alors qu'il dit ailleurs : "Bannissez d'entre
vous toute aigreur, emportement ou colère" (Eph 4 :31) ?
R.
: L'Apôtre, me semble-t-il, a pris ici une façon de parler semblable à celle
du Seigneur. Celui-ci déclare dans l'Évangile : "Il a été dit aux
anciens ceci", ensuite Il ajoute : "et Moi je vous dis ceci"
(Mt 5 :21-22). Ainsi l'Apôtre en cet endroit rappelle d'abord le précepte
antique donné aux anciens : "Mettez-vous en colère mais ne péchez
point" (Ps 4 :5), peu après il donne celui qui nous convient à nous
et qui est le sien : "Éloignez de vous toute aigreur, emportement ou
colère" (Eph 4 :31).
Qu.
244 : Qu'est-ce que : "Laissez agir la colère" (Rom 12 :19) ?
R.
: C'est ou bien non seulement ne pas résister au méchant, comme l'enseigne l'Écriture,
mais aussi présenter la joue gauche à celui qui vous frappe sur la droite (Mt
5 :39), et la suite, ou bien encore : "lorsqu'on vous persécute
dans une ville fuyez dans une autre" (Mt 10 :23).
Qu.
245 : Qui est prudent comme le serpent et simple comme la colombe ?
(Mt 10 :16)
R.
: Est prudent comme le serpent celui qui examine et cherche comment il pourra
facilement faire accepter son enseignement par ses auditeurs. Est simple comme
la colombe celui qui, non seulement ne pense pas à se défendre contre les persécuteurs,
mais encore continue à faire du bien, suivant le commandement de l'Apôtre :
"Pour vous, ne vous lassez pas de faire les bien" (2 Thess.3 :13).
C'est, en effet, en les envoyant prêcher que le Seigneur donne cet ordre aux apôtres,
car c'est alors qu'ils eurent besoin de prudence pour persuader leurs auditeurs
et de patience pour subir les persécutions.
Comme
le serpent, jadis, sut prendre un air engageant et parler avec art pour écarter
de Dieu et faire tomber dans le péché (Gen.3 :1-2), ainsi nous, nous
devons saisir adroitement l'attitude, l'endroit et l'occasion, et choisir
judicieusement nos paroles (Ps 111 :5) pour écarter du péché et ramener
à Dieu. Quant à la patience dans les épreuves, nous la garderons, suivant l'Écriture,
jusqu'au bout (Mt 24 :13).
Qu.
246 : Que signifie : "La charité ne fait rien
d'inconvenant" ? (1 Cor 13 :5)
R.
: Cela revient à dire : elle ne cesse pas d'être elle-même. Quant à sa
manière d'être, l'Apôtre l'indique dans le même passage lorsqu'il énumère
les caractéristiques de la charité.
Qu.
247 : L'Écriture dit : "Ne vous vantez pas et ne tenez pas un
langage arrogant" (1 Sam.2 :3), et l'Apôtre avoue : "Ce que
je dis avec cette assurance d'avoir à me glorifier, je ne le dis pas selon le
Seigneur, mais comme si j'étais en état de folie" (2 Cor.11 :17), et
encore : "Je viens me glorifier comme un insensé" (2 Cor.12 :11),
tandis qu'ailleurs il permet de se glorifier en disant : "Que celui
qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur" (2 Cor.10 :17).- Quand
donc se glorifie-t-on dans le Seigneur, et quand se glorifie-t-on d'une manière
défendue ?
R.
: Manifestement l'Apôtre est obligé de faire la guerre aux passions, car il ne
parle pas ainsi pour se vanter lui-même, mais pour rabattre l'audacieuse
arrogance et l'orgueil de certains.
Se
glorifier selon le Seigneur c'est attribuer non pas à soi mais à Lui-même ce
que l'on fait de bien, et dire : "Je puis tout en Celui qui me
fortifie" (Phil.4 :13).
On
se glorifie d'une manière défendue, de deux façons : la première répond
aux paroles du psalmiste : "Le pécheur se vante de ses
convoitises" (Ps 10 :3), et : "Puissant pourquoi te
glorifies-tu dans le mal ?" (Ps 51 :3); la seconde, aux paroles
du Seigneur : "Ils agissent pour être vus des hommes" (Mt 6 :5),
comme si, en cherchant à être loués pour leurs actes, ils se louaient eux-mêmes.
On pourrait même appeler sacrilèges ceux qui, ainsi, s'approprient les biens
de Dieu et s'emparent de la gloire qui lui revient.
Qu.
248 : Si le Seigneur donne la sagesse et de sa face viennent science et
intelligence (Pro 2 :6), et si le Saint Esprit donne à l'un la sagesse, à
l'autre la science (1 Cor 12 :8), pourquoi le Seigneur fait-il à ses apôtres
ce reproche : "Êtes-vous encore, vous aussi sans intelligence"
(Mt 15 :16), et l'Apôtre accuse-t-il certains d'incompréhension ?
(Rom 1 :31)
R.
: Connaissant la bonté de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la vérité (1 Tim.2 :4), sachant aussi avec quelle
sollicitude et efficacité le Saint Esprit distribue ses dons, on se rendra
compte que cette lenteur à comprendre ne provient pas de la parcimonie du
bienfaiteur mais du manque de foi chez ceux qui reçoivent les dons. Aussi
est-ce avec justice que l'on peut reprocher à celui qui ne comprend pas, de
fermer les yeux devant le soleil pour rester dans l'obscurité, et de ne pas
regarder vers la lumière qui l'éclairerait.
Qu.
249 : Qu'est-ce qui est piété et qu'est-ce qui est justice ?
R.
: Est piété, me semble-t-il, tout ce que le devoir et les convenances
demandent de la part des inférieurs à l'égard des supérieurs, suivant les
différents genres d'autorité dont ceux-ci sont revêtus, tandis que rendre à
chacun ce qu'il mérite par ses actions est justice.
La
piété fait connaître et apprécier les qualités seulement; la justice, elle,
tient compte également du mal et agit en conséquence.
Qu.
250 : Comment donne-t-on ce qui est saint aux chiens ou jette-t-on les
pierres précieuses devant les porcs, et comment se réalise ce que dit ensuite
l'Écriture : "De crainte qu'ils ne les foulent aux pieds et se
tournent contre vous et vous déchirent" ? (Mt 7 :6)
R.
: L'Apôtre nous l'explique clairement en ajoutant aux reproches que lui-même
adresse aux juifs : "Toi qui te fais une gloire d'avoir une loi, tu déshonores
Dieu en la transgressant" (Rom 2 :23)
Le
Seigneur nous met donc ici en garde contre cette transgression par laquelle nous
déshonorons ses lois saintes. A cause de cela les païens s'imaginent qu'elles
sont méprisables, se dressent avec plus de violence contre nous, et déchirent
pour ainsi dire par les injures et les accusations celui qui pêche contre elles.
Qu.
251 : Comment parfois le Seigneur défend-il de porter un sac ou une
bourse (Lc 10 :4), et parfois dit-il : "Maintenant que celui qui
a un sac le prenne, de même une bourse, et que celui qui n'a pas d'épée vende
son manteau pour s'en acheter une" (Lc 22 :36) ?
R.
: Le Seigneur lui-même l'explique en disant : "Car il faut que
s'accomplisse en moi cette parole de l'Écriture (Lc 22 :37) : il a été
mis au rang des malfaiteurs" (Is.53 :12), et, aussitôt après que
Pierre eut accompli la prophétie concernant le glaive, il lui dit :
"Remets l'épée à sa place, car tous ceux qui se serviront de l'épée périront
par l'épée" (Mt 26 :52).
Ces
paroles : "celui qui a une bourse qu'il la prenne" (Lc 22 :36),
ou : "il la prendra" (car ainsi portent la plupart des textes) ne
sont donc pas un ordre mais une prophétie annonçant que les apôtres, oubliant
les dons et la loi du Seigneur, oseraient prendre même des épées. Nous voyons
de fait en de nombreux passages, que l'Écriture emploie souvent la forme impérative
pour la forme prophétique, par exemple celui-ci : "Que ses fils
deviennent orphelins" (Ps 108 :9), et : "Que le démon se
tienne à sa droite" (Ps 108 :6), et d'autres semblables.
Qu.
252 : Quel est ce pain quotidien que l'Écriture nous apprend à demander
chaque jour dans la prière ?
R.
: Lorsqu'on travaille en se souvenant des paroles du Seigneur : "Ne
vous inquiétez pas pour votre vie, ni de ce que vous mangerez, ni de ce que
vous boirez" (Mt 6 :25), et de celles que l'Apôtre qui ordonne de
travailler pour avoir de quoi donner aux indigents (Eph 4 :28), on ne le
fait pas pour sa propre utilité mais pour obéir au commandement de Dieu.
Alors, puisque "tout travailleur mérite sa nourriture" (Mt 10 :10),
ce pain quotidien, c'est-à-dire ce pain nécessaire à notre nature pour
subsister, il ne se le procure pas lui-même, mais il le sollicite de Dieu et
mange ce qu'il reçoit, quand il a exposé ses nécessités au frère choisi
pour faire chaque jour ce que dit l'Écriture : "On distribuait à
chacun selon ses besoins" (Act.4 :35).
Qu.
253 : Qu'est-ce que le talent, comment le multiplions-nous ? (Mt 25 :15)
R.
: Je crois que la parabole s'applique à tout don de Dieu. Ce que Dieu juge bon
de lui donner, il faut que chacun le fasse produire abondamment pour le bien et
l'utilité d'un grand nombre, car personne n'est exclu de la bonté de Dieu.
Qu.
254 : Quelle est cette banque à laquelle tu devais, dit le Seigneur,
porter l'argent ? (Mt 25 :27)
R.
: Les paraboles n'achèvent pas leur signification dans ce qu'elles paraissent,
mais conduisent à l'intelligence d'un principe sous-jacent.
Comme
il est dans l'ordre de porter de l'argent aux banquiers en vue d'un intérêt -
(il en est, en effet, je l'ai appris à Alexandrie, qui l'acceptent et font
cela) - celui qui reçoit une grâce doit, ou partager avec celui qui a besoin,
ou faire ce que dit l'Apôtre à propos de la doctrine : "Confie cela
à des hommes sûrs, capables d'instruire aussi les autres" (2 Tim.2 :2).
Or ce n'est pas seulement pour la doctrine qu'il en est d'ordinaire ainsi, mais
pour toute chose, car les uns ont la simple capacité, mais les autres ont reçu
l'habileté dans l'utilisation.
Qu.
255 : Où reçut-il l'ordre d'aller, celui qui s'entendit dire :
"Prends ton bien et va-t-en" ? (Mt 20 :14)
R.
: Apparemment, là où devront aller ceux qui se trouveront placés à gauche
après avoir été interpellés sur leur manque de bonnes oeuvres. (Mt 25 :41)
Quiconque
porte envie à son frère est pire que celui qui ne travaille pas, car l'Écriture
a l'habitude de mettre souvent ensemble l'envie et le meurtre. (Rom 1 :29;Gal.5 :21)