SERMON SUR LE GRAND CAREME

 Le saint Apôtre nous avertit, bien-aimés, de nous dépouiller, " eu égard à notre vie passée, du vieil homme qui se corrompt par les convoitises trompeuses " (Ep 4,22), afin de nous sanctifier de plus en plus chaque jour par la pureté de nos moeurs. Si Dieu demeure en nous, si le saint Esprit habite en nous, selon ces paroles de l'Apôtre  : " nous sommes le temple du Dieu vivant " (2 Co 6,16), il faut employer tout le zèle que nous possédons à purifier notre coeur, afin que ce ne soit pas un séjour indigne d'un hôte si illustre. De même qu'on veille avec une louable sollicitude à réparer avec soin les maisons construites par les mains des hommes, lorsque les pluies, les tempêtes ou le temps les ont dégradées, de même il nous faut mettre la plus scrupuleuse attention à ce que nos coeurs ne soient point corrompus par quelque défaut ou quelque impureté. Quoique ce temple construit par Dieu ne puisse subsister sans son Secours, ni rester dans son entier sans sa divine Protection, cependant, comme nous sommes des pierres vives et une matière animée, il faut que nous coopérions aux soins que le Créateur prend de nous ; il faut que notre obéissance seconde la grâce, et que nous travaillions toujours en accord avec Celui sans Lequel nous ne pouvons rien faire de méritoire. Si nous trouvons quelque chose de difficile ou d'impossible dans la pratique des commandements de Dieu, pour fortifier nos faiblesses, il nous faut recourir à la Grâce de Celui qui a fait ces commandements. Il nous donne ces préceptes, afin que nous ayons le désir de les suivre, et Il nous donne la force nécessaire pour y parvenir. " Jette ton souci sur le Seigneur, a dit le Prophète, et Lui te nourrira. " (Ps 54,23). Y a-t-il quelqu'un qui ait assez d'orgueil, qui se trouve assez pur et innocent pour se flatter de ne jamais avoir besoin de la grâce qui nous purifie  ? C'est une folle pensée, c'est la marque d'une grande vanité, que de se croire inaccessible à toutes les tentations qui nous assiègent en cette vie. A chaque pas, on rencontre des dangers et des embûches. Les passions nous émeuvent, les attraits des plaisirs nous tentent, le gain nous séduit, les pertes nous désespèrent, la calomnie nous déchire et les louanges de ceux qui nous flattent ne sont pas toujours sincères. Ici la haine nous attaque, là ce sont de fausses louanges qui nous trompent, et il est plus facile de se soustraire aux coups de la première, que de ne point se laisser séduire par les mensonges des secondes. Il y a tant d'incertitude dans le choix des moyens à employer pour devenir vertueux et les nuances qui les séparent du mal sont si difficiles à saisir, que si quelqu'un a le talent de rester dans un sage juste-milieu, et de ne point tomber soit dans l'excès du mal, soit dans la fausse exagération du bien, il est bien rare que sa consciencieuse probité reste à l'abri des morsures de la calomnie, et que sa justice échappe aux coups des méchants. Quand la pensée humaine considère l'incertitude des choses de ce monde, que de nuages s'élèvent dans l'esprit, que d'erreurs s'enfantent dans la dépravation de la pensée  ! Cette multitude d'événements contraires qui traversent la vie sont des sujets éternels de plaintes et de murmures. Quoique tous les fidèles soient convaincus que les soins de la Providence s'étendent sans cesse sur toutes les parties de l'univers, que les choses de ce monde ne sont point placées sous l'influence des astres qui est nulle, et que tout est soumis à la Volonté du souverain Maître du monde, dont la Clémence est égale à l'Équité, comme le dit le Prophète, " toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10), cependant, lorsque certains événements ne tournent pas selon nos souhaits, et que nous voyons en ce monde l'impie triompher de l'homme juste, il arrive ordinairement que les plus grandes âmes elles-mêmes sont frappées de découragement, et qu'elles se permettent de murmurer comme s'il y avait quelque injustice dans le principe de ces événements. Le grand Prophète avoue lui-même qu'il a été troublé par cette inconstance des choses humaines, et qu'elle a mis sa foi en péril. " Pour moi, dit-il, mes pieds ont presque chancelé, mes pas ont failli glisser, parce que j'ai envié les impies, en voyant la paix des pécheurs"  (Ps 72,2-3). comme il est peu de gens qui aient assez de force et de courage pour rester impassibles et vertueux devant tous les événements divers qui pourront leur arriver, et que la prospérité ne contribue pas moins que l'adversité à corrompre la vertu des fidèles, il est nécessaire de veiller avec le plus grand soin à guérir les blessures qui déchirent sans cesse notre faible humanité. J'ai exposé en peu de mots quelques-uns de ces périls qui nous menacent dans la vie, et qui nous menacent toujours, comme l'enseigne l'Écriture par ces paroles  : " Qui dira  : J'ai purifié mon coeur, je suis net de mon péché  ? " (Pr 20,9). Que tous les fidèles soient donc bien persuadés que la pénitence leur est nécessaire, et qu'ils ont besoin tous d'obtenir la rémission de leurs péchés.

Pouvons-nous, bien-aimés, trouver un temps plus favorable pour recourir aux remèdes divins, qu'à l'époque de ces fêtes où nous célébrons les divins mystères de notre rédemption  ? Préparons-nous par le jeûne du carême à nous bien acquitter de ce devoir. Non seulement ceux qui doivent être régénérés à une vie nouvelle dans le baptême par le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, mais encore tous les régénérés peuvent se servir utilement de ce divin remède pour se sanctifier  : les premiers afin de se rendre dignes de la grâce qu'ils n'ont point encore reçue, les seconds afin de conserver celle qu'ils ont déjà reçue. Car l'Apôtre dit  : " Ainsi donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber  ! " (1 Co 10,12). Personne n'est si solide dans sa vertu qu'il puisse être sûr de sa persévérance. Profitons donc, bien-aimés, des avantages que peut nous procurer un temps si salutaire, et employons tous nos efforts à purifier notre conscience. Quelque pure et quelque régulière que soit la vie que nous menons dans ce monde, elle se ressent toujours des imperfections de notre nature, et quelque belle que soit l'âme que Dieu a créée à son Image, la fumée de la vanité obscurcit sa beauté et il faut la repolir sans cesse pour lui rendre son éclat. Si cela est nécessaire aux âmes les plus pures, combien n'est-ce point plus nécessaire à celles qui passent toute l'année dans une nonchalance ou dans une sécurité qu'on ne saurait comprendre  ? Notre charité nous fait un devoir de les avertir de ne point se tant complaire dans leurs vertus, quoique nous ne puissions lire dans leur conscience. Dieu seul voit tout ; les lieux les plus obscurs, les murailles les plus épaisses ne dérobent rien à ses Regards ; Il ne connaît pas seulement nos pensées et nos actions, Il sait encore ce que nous penserons et ce que nous ferons à l'avenir. Telle est la Science de ce souverain Juge ; nous devons redouter ses Regards pénétrants ; Il pénètre la matière et aucun secret ne Lui est inconnu. Il voit avec clarté les choses les plus obscures, celles qui sont muettes Lui répondent, le silence Lui parle, l'esprit dénué du secours de la voix s'entretient avec Lui. Que personne ne méprise la Bonté patiente du Seigneur, parce que ces crimes sont encore impunis, et qu'il ne croie point qu'Il n'est pas irrité, parce qu'Il n'a point encore ressenti les effets de sa Colère. La vie est courte et la jouissance des voluptés de ce monde ne dure guère  : vains plaisirs qui seront suivis de douleurs et de peines éternelles si l'on n'a recours à la pénitence tandis que l'arrêt de la justice divine est encore suspendu.

Ayons donc recours à la Miséricorde du Seigneur, qui nous tend les Bras, et que tous les fidèles purifient leurs coeurs afin de célébrer dignement la fête de Pâques. Que la méchanceté s'adoucisse, que les colères s'apaisent, que l'on se pardonne réciproquement, et que celui qui demande pardon de ses offenses oublie de se venger des autres. Car si nous disons à Dieu  : " Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " (Mt 6,12), nous nous imposons de lourdes chaînes, si nos actions ne répondent point à nos paroles. Si jusqu'ici nous n'avons point exactement observé toutes les conditions que renferme cette prière, maintenant rentrons en nous-mêmes, examinons notre conscience, et sachons obtenir l'oubli de nos fautes en oubliant celle des autres. Puisque le Sauveur du monde a dit  : " Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi " (Mt 6,14 ; Lc 6,4), il est aisé d'obtenir ce que l'on demande, Dieu devant régler son jugement sur l'indulgence de celui qui le prie. Il écoute une prière avec justice et miséricorde, et Il a soumis sa Justice à notre bonté afin, pour ainsi dire, de n'avoir point le droit d'être sévère envers ceux qui seraient cléments.

La libéralité convient aussi aux âmes douces et bienveillantes. Rien n'est plus digne de l'homme que d'imiter son Créateur, et, à son exemple, de secourir les frères, selon l'étendue de ses ressources. Lorsqu'on nourrit ceux qui ont faim, que l'on prend soin de ceux qui sont nus, et que l'on porte secours aux infirmes, n'est-ce point remplacer le Seigneur  ? La bonté du serviteur n'est-elle point un effet de la Bonté du Maître  ? Quoiqu'Il n'ait besoin d'intervention pour répandre sur nous les dons de sa Miséricorde, Il a ainsi tempéré sa Toute-Puissance, qu'Il subvient aux hommes par le ministère des hommes eux-mêmes, et c'est avec justice qu'on Le remercie des oeuvres de charité qu'Il exerce par les mains de ces créatures. Voilà pourquoi le Sauveur du monde dit à ses disciples  : " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 5,16), le Sauveur à jamais béni qui vit et règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles.


IKTHYS