SERMON SUR LE GRAND CAREME


 Bien-aimés, la vertu et la sagesse de la foi chrétienne consistent dans l'amour de Dieu et du prochain ; celui qui aime à servir Dieu et à secourir son prochain possède toutes les vertus. Il nous est toujours nécessaire de faire croître dans nos coeurs et d'exercer cette double charité ; mais il faut redoubler de ferveur pendant le carême, afin que ce jeûne de quarante jours, qui nous prépare à célébrer la fête de Pâques, produise le même effet sur notre coeur que ces paroles du prophète Isaïe, dont se servit Jean le Baptiste  : " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Si l'on considère, soit cette partie du peuple qui depuis longtemps est entrée dans la lice des combats évangéliques, et qui fournit cette carrière spirituelle avec courage pour mériter les récompenses qui nous attendent, soit ceux qui, coupables de péchés mortels dont ils connaissent l'énormité, se mettent en devoir de faire pénitence, pour en obtenir l'absolution, soit ceux qui doivent être régénérés dans le baptême par la Grâce du saint Esprit et dépouiller le vieil Adam pour revêtir le nouveau, qui est Jésus Christ ; on verra qu'on peut adresser convenablement et utilement à tous ces paroles  : " Préparez au désert le chemin de l'Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu " (Is 40,3). Mais quelles sont les Voies du Seigneur, quels sont ses Sentiers  ? Nous en sommes instruits par ce même prophète qui, nous promettant les secours et les dons de la Grâce divine, nous révélait la régénération future, et nous disait pour compléter sa prophétie  : " Toutes les vallées seront relevées, toutes les montagnes et les collines seront abaissées ; les chemins tortus seront redressés " (Is 40,4). Les vallées sont le symbole de la mansuétude des humbles, et les collines et les montagnes, celui de l'arrogance des orgueilleux. Comme la Vérité nous apprend que " quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé " (Lc 14,11), ce n'est pas sans raison que le prophète nous prédit que les vallées seraient relevées et les montagnes aplanies, afin que, celles-là présentant une surface plane et celles-ci une ligne droite, le voyageur n'ait à redouter aucun danger, aucun obstacle. Quoique le chemin qui mène à la vie soit étroit et difficile, cependant celui que la vérité et la piété soutiennent, y marche sans difficulté, et il aime à parcourir cette voie construite avec la pierre solide des vertus, et non point avec le sable mouvant du vice.

Mais, afin de connaître plus parfaitement par quels chemins il faut marcher pour mériter les récompenses que Dieu nous a promises, écoutons ces paroles du prophète David  : " Toutes les Voies du Seigneur sont miséricorde et vérité " (Ps 24,10). Les fidèles doivent régler leurs actions sur les modèles que Dieu leur propose. Et c'est avec justice qu'Il exige de nous que nous L'imitions, puisqu'Il nous a créés à son Image et à sa Ressemblance. Nous ne participerons point à sa Gloire, si la miséricorde et la vérité ne règnent dans nos coeurs. Ceux qui veulent être sauvés doivent, pour mériter leur salut, se conduire de la même manière que le Sauveur S'est conduit pour nous racheter ; de telle sorte qu'ils soient miséricordieux et sincères, comme la Miséricorde divine et la Vérité éternelle. Un esprit juste suit la voie de la vérité, comme un esprit bienveillant suit celle de la miséricorde. Ce n'est pas que ces sentiers soient différents et qu'on parvienne aux vertus par des voies différentes, comme si c'était autre chose de devenir miséricordieux et de parvenir à être juste. On n'est pas miséricordieux sans être juste ; on n'est pas juste sans être miséricordieux. Celui qui ne possède pas ces deux vertus, ne possède ni l'une ni l'autre. La charité soutient la foi, la foi fortifie la charité. Et ce sont toutes deux de véritables vertus qui portent de véritables fruits, lorsqu'elles sont unies l'une à l'autre par des liens indissolubles. Là où elles ne sont point réunies, elles manquent toutes les deux. Elles s'éclairent et se fortifient mutuellement, jusqu'à ce que le désir alimenté par notre foi soit récompensé par la vision et que nous puissions voir et aimer de façon ininterrompue ce que maintenant nous ne pouvons ni aimer sans la foi, et ni croire sans l'amour. Puisque, comme dit l'Apôtre, " en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l'incirconcision n'a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité " (Ga 5,6), appliquons-nous à posséder de la même manière la charité et la foi en même temps. Ce sont deux ailes qui servent à l'âme pieuse de l'élever jusqu'aux pieds du Très-Haut, et qui l'empêchent de succomber sous le fardeau des choses temporelles. Celui qui a dit  : " Or sans la foi il est impossible de Lui être agréable " (He 11,6), a dit aussi  : " quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien " (1 Co 13,2). Si nous voulons célébrer dignement la fête de Pâques, tâchons de nous perfectionner dans les deux vertus, qui renferment tous les préceptes divins. C'est par le moyen de la foi et de la charité que les fidèles deviennent le temple et le sacrifice de Dieu. Que la foi nous fasse espérer ce que nous croyons, que la charité nous rende propice ce que nous aimons. L'un et l'autre est le propre de ceux qui croient et de ceux qui aiment. Si nous forçons notre intelligence à reconnaître l'autorité du Seigneur, il faut aussi que nous nous unissions à Lui par la pratique de ces vertus. Dieu a dit  : " Soyez saints parce que Je suis saint " (Lv 19,2), et le Seigneur dit  : " Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux " (Lc 6,36). Et, pour que nous ne doutions point que Dieu ne nous tienne compte de tout ce que nous donnons aux pauvres, comme si nous le donnions à Lui-même, voyons ce que pense le Seigneur de ceux qui font l'aumône, et de quelle manière ils seront traités au jour du jugement, dans ces paroles qu'Il adresse à ceux qui seront placés à sa droite  : " Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde ; car J'ai eu faim, et vous M'avez donné à manger ; J'ai eu soif, et vous M'avez donné à boire ; J'étais étranger, et vous M'avez recueilli ; J'étais nu, et vous M'avez vêtu ; J'étais malade, et vous M'avez visité ; J'étais en prison, et vous êtes venus vers Moi. Les justes Lui répondront  : Seigneur, quand T'avons-nous vu avoir faim, et T'avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et T'avons-nous donné à boire  ? Quand T'avons-nous vu étranger, et T'avons-nous recueilli ; ou nu, et T'avons-nous vêtu  ? Quand T'avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers Toi  ? Et le Roi leur répondra  : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à Moi que vous les avez faites. " (Mt 25,34-40). Quoi de plus utile et quoi de plus facile que la pratique de cette vertu  ? Elle mériterait des louanges, quand même elle ne serait fondé que sur un sentiment naturel, et que l'homme qui se porterait à secourir son semblable n'y serait excité que par la seule compassion qu'il aurait de sa misère. Mais comme cette charité n'est point inspirée par la foi, elle n'obtiendra pas à son auteur les éternelles récompenses ; car il y a une grande différence entre les oeuvres faites en vue du ciel et celles qui se rapportent uniquement à la terre. La bienfaisance mondaine finit avec ceux qui en ont profité ; mais la charité chrétienne subsiste en Dieu Lui-même, c'est par sa Grâce que nous l'exerçons, et nos oeuvres tournent à sa Gloire ; car le Seigneur a dit Lui-même  : " Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 25,16).

Réjouissez-vous, âmes fidèles, reconnaissez que votre gloire est la Gloire de Celui qui vous inspire. Que l'approche de la fête de Pâques redouble votre ferveur. Il est de votre devoir de vous préparer à compatir aux douleurs de Celui qui a souffert pour tous. La vie des personnes pieuses a toujours quelque ressemblance avec le supplice du Sauveur ; elles mutilent la concupiscence de la chair avec le fer de la continence, et la vertu du saint Esprit qui habite en elles étouffe leurs passions. Il est facile de trouver en soi des sujets de mortification. Il faut éteindre le feu de la colère, humilier l'orgueil et bannir la luxure. Il faut aussi arracher tout entière la racine de l'avarice afin d'extirper tous les maux dans leur principe, si cela est possible. Il faut sans cesse, à l'époque où nous sommes, purifier son âme, lui soumettre le corps, dont elle est naturellement le maître, imposer à la chair le frein de la continence, et repousser loin de soi tout ce qui s'oppose à nos pieux désirs. Lorsque l'âme et le corps se purifient, pour se préparer à célébrer dignement la Pâque du Seigneur, on contracte une habitude louable, dont on retire de grands avantages pendant toute la vie. Ne traitons point avec trop de hauteur les personnes qui nous sont soumises ; oublions de nous venger des offenses que nous avons reçues, et que les criminels se réjouissent d'avoir atteint ces saints jours, où les saints et pieux empereurs se relâchent de la sévérité dans la punition publique des crimes. Que la haine et l'envie soient bannies, que l'union et la bienveillance resserrent leurs liens, et que l'âme souillée par la méchanceté s'efforce de se purifier et de reprendre des sentiments de bonté. Autant le jugement de Dieu sera sévère contre les âmes dures et insensibles, autant il sera indulgent pour les âmes miséricordieuses.

Les réprouvés, placés à la gauche du Juge seront précipités dans les flammes éternelles, en punition de leur inhumanité ; mais les élus, qui seront à sa droite, après avoir été loués de leurs bonnes oeuvres et de leurs pieuses aumônes, jouiront dans le royaume des cieux de la béatitude éternelle par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et qui règne avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. 
Amen.


IKTHYS