SERMON SUR LE GRAND CAREME


 En tout temps, bien-aimés, il est en notre devoir de nous conduire avec justice et équité et de soumettre nos pensées et nos actions aux lois du Seigneur, si nous voulons Lui plaire. Mais à l'approche de ces grands jours, pendant lesquels se sont accomplis les mystères de notre salut, il nous faut purifier nos coeurs avec plus de sollicitude que jamais, et nous appliquer à la pratique de la vertu avec plus de ferveur et plus de zèle que de coutume. Comme les mystères sont par eux-mêmes nos plus grandes solennités, nous devons les célébrer avec une plus grande exactitude. Il faut que dans nos plus grandes fêtes nous donnions les plus grandes preuves de notre amour pour la religion. Si l'on trouve qu'il soit d'un homme raisonnable et religieux de se parer les jours de fête et de témoigner par le luxe de ses vêtements de la joie qu'il éprouve dans son coeur, si l'on apporte un plus grand soin et un plus grand zèle à embellir, en ce jour, la maison de prière de ses plus beaux ornements, n'est-il pas convenable qu'une âme chrétienne, qui est le temple véritable, le temple vivant de Dieu, se couvre de ses plus riches parures, et que, pour célébrer le sacrement de sa rédemption, elle évite avec soin d'être souillée par aucune tache d'iniquité, ni flétrie d'aucune ride de mensonge  ? A quoi bon cette beauté extérieure qui est la marque apparente d'une âme pure, si l'intérieur est souillé par les ordures du vice  ? Il faut donc éviter avec un soin extrême tout ce qui peut ternir la pureté de l'âme et nuire à sa beauté. Que chaque homme examine sa conscience ; qu'il censure lui-même, en juge sévère, ses propres défauts ; qu'il voie si cette paix que nous donne Jésus Christ règne dans le fond de son coeur ; si les désirs de l'esprit ne sont point combattus par la concupiscence de la chair ; s'il ne méprise point ce qui est humble ; s'il n'a point de pensées d'orgueil, s'il ne désire point des gains illégitimes ; s'il ne complaît pas dans l'accroissement immodéré de ses richesses ; si enfin il ne regarde point avec envie la prospérité de son prochain, et s'il ne se fait point une maligne joie des infortunes de ses ennemis. Et, s'il n'a trouvé dans son coeur aucune trace de ces passions, qu'il procède avec soin à l'examen des pensées qui frappent le plus ordinairement son esprit ; et, s'il remarque qu'il aime à considérer les vaines images de l'ambition, qu'il se hâte d'expulser de son coeur ces choses qui, en nous plaisant, nous rendent criminels. Les hommes, tant qu'ils sont sur cette terre, ne peuvent espérer d'être insensibles aux passions et aux attraits du plaisir ; cette vie n'est qu'une suite de tentations, et ceux qui ne craignent point d'y succomber y succombent trop souvent. Il y a de la présomption à croire qu'on puisse facilement se garder du péché, et cette présomption même est un péché, selon cette maxime du bienheureux apôtre Jean  : " Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous " (1 Jn 1,7).

Que personne ne s'abuse, mes frères ; que personne ne s'aveugle soi-même. Qu'aucun fidèle n'ait tellement de confiance dans la pureté de son coeur qu'il se croie capable de braver les dangers de la tentation, car le tentateur qui veille sans cesse dresse ses plus secrètes et plus dangereuses embûches contre ceux qui commettent le moins de péchés. Qui pourra donc être à l'abri des artifices du démon, puisqu'il n'a même pas respecté la Majesté de notre Seigneur  ? Il avait vu fouler aux pieds son orgueil par l'humilité de Jésus Christ lorsqu'Il se fit baptiser ; il avait compris que le jeûne de quarante jours était une preuve évidente que son corps n'était point soumis à la concupiscence, et cependant il ne désespéra point de Le séduire par ses plus dangereux artifices  : il fonda son espérance sur la fragilité de la nature humaine ; et comme il savait que Jésus Christ était véritablement un homme, il crut qu'il pourrait Le faire succomber à la tentation. Si le démon n'a point cru devoir tendre inutilement des embûches à notre Seigneur, à notre Sauveur, quelle ne doit pas être son espérance lorsqu'il attaque des créatures aussi fragiles que nous, nous qu'il attaque avec d'autant plus de haine et d'envie que nous avons renoncé à lui par le baptême, et qui, purifiés du péché originel qui nous soumettait à sa puissance, sommes devenus de nouvelles créatures par la régénération divine  ? Aussi, tant que nous sommes revêtus d'une chair mortelle, notre antique ennemi ne cesse de nous tendre des pièges pour nous faire tomber dans le péché ; et sa fureur est plus ardente contre les membres de Jésus Christ lorsqu'ils sont sur le point de célébrer les plus augustes mystères. Le saint Esprit a eu soin de nous enseigner cette vérité, afin que nous nous préparions par un jeûne de quarante jours à la fête de Pâques. Voici le temps de nous purifier par cette sainte abstinence et de nous imposer une pénitence si utile ; nous serons plus en état d'honorer la Pâque du Seigneur et de la célébrer dignement si nous vivons saintement pendant le carême et si nous observons avec fidélité le jeûne qui nous est prescrit.

Dans ces jours de jeûne, livrons-nous avec plus de zèle que jamais à la pratique des bonnes oeuvres, à laquelle nous devons nous appliquer en tout temps  : " Pratiquons le bien envers tous, et surtout envers les frères en la foi " (Ga 6,10) ; et dans la distribution de nos aumônes, efforçons-nous d'imiter la bonté du Père céleste qui " fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes " (Mt 5,45). Quoiqu'il faille principalement secourir les fidèles dans leur infortune, il ne faut pas non plus abandonner à leurs malheurs ceux qui n'ont point encore reçu l'évangile. Il n'est pas juste de se dépouiller des sentiments de la nature qui nous prescrivent d'être bienveillants à l'égard de tous ceux qui sont d'un rang inférieur au nôtre, quels qu'ils soient, et surtout s'ils ont été régénérés par la grâce et rachetés par le sang de Jésus Christ. Nous avons de commun avec eux que nous sommes tous faits à l'image de Dieu, et que nous avons tous la même origine selon la chair et selon l'esprit ; nous sommes sanctifiés par le même saint Esprit ; nous vivons dans les mêmes croyances ; nous participons aux mêmes sacrements. Ces liens qui nous unissent méritent d'être considérés ; nous devons avoir égard à ce que tant et de si grandes choses nous sont communes avec eux, et montrer plus de douceur envers ceux qui sont nos esclaves, car nous sommes comme eux et avec eux les esclaves du Seigneur tout-puissant. Si donc quelque serviteur a commis de grandes fautes envers ses maîtres, le temps où nous sommes demande qu'on les oublie et qu'on lui pardonne. Que la compassion remplace la sévérité, et le pardon le châtiment. Que les prisons s'ouvrent ; que les fers soient brisés, car c'est à cette condition que le Seigneur nous a promis sa Miséricorde  : Il nous pardonnera nos fautes si nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Que tous les sujets de troubles disparaissent ; qu'on étouffe les haines et les rivalités, et que tous les membres de Jésus Christ soient réunies par les liens de la charité. " Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu  ! " (Mt 5,9) ; et ils sont non seulement ses fils, mais encore ses héritiers et cohéritiers du Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. 
Amen.


IKTHYS