Lorsque le Sauveur annonçait à ses disciples l'avènement du règne de Dieu et la fin du monde, pour qu'ils en instruisissent toute l'Église, Il leur dit : " Prenez garde à vous-mêmes, de crainte que vos coeurs ne s'appesantissent par les excès du manger et du boire, et par les soucis de la vie " (Luc 21,34). Nous savons que cet avis nous regarde, mes frères ; ce jour du jugement qu'Il nous annonce n'est pas fort éloigné, quoiqu'il nous soit inconnu ; il faut que tous les hommes se préparent à comparaître en ce jour terrible, de crainte qu'il ne les surprenne au milieu des débauches et dans les embarras du siècle. L'expérience nous les montre tous les jours : l'excès de boisson appesantit l'intelligence, l'excès des viandes engourdit le coeur ; et le plaisir qu'on éprouve à table devient préjudiciable à la santé du corps, si l'on ne sait pas soumettre sa gourmandise aux lois de la tempérance, et se modérer de manière à ne pas s'exposer à se faire mal. Quoique la chair ne désire rien que l'âme n'y consente, et que les sensations et les mouvements du corps dépendent de l'âme, il faut cependant que celle-ci sache imposer des privations à cette partie d'elle-même, et qu'elle ait assez jugement pour lui refuser l'usage de certaines choses nuisibles, afin que, délivrée des entraves de la concupiscence de la chair, elle puisse appliquer son esprit à l'étude de la divine sagesse, sans être interrompue par le bruit et le tumulte des affaires de ce monde, qui troubleraient le repos de ses saintes méditations et la douceur des joies éternelles qu'on y trouve. S'il est difficile d'observer cette règle de conduite pendant toute la vie, on peut du moins s'y soumettre fréquemment, afin de donner plus de temps aux travaux de l'esprit qu'aux pensées terrestres, et que nos occupations, même temporelles, nous procurent des richesses incorruptibles, en nous occupant avec ferveur de ce qui réclame avec justice tous nos soins.
L'utilité de cette pratique paraît principalement dans les jeûnes que l'Église nous prescrit ; par l'inspiration du saint Esprit, elle les a distribués dans toutes les saisons, afin que les fidèles se souvinssent qu'ils devaient pratiquer l'abstinence en tout temps. Le jeûne du printemps s'observe pendant le Carême ; celui d'été à la Pentecôte ; le jeûne de l'automne est dans le septième mois et enfin celui d'hiver s'observe dans ce dixième mois où nous sommes ; cette distribution nous fait comprendre qu'il faut observer les préceptes de Dieu dans toutes les saisons, et ces quatre jeûnes sont comme quatre évangiles qui nous apprennent sans cesse ce que nous devons dire et ce que nous devons faire.
" Les cieux, dit le Prophète, racontent la Gloire de Dieu, et le firmament manifeste l'oeuvre de ses Mains ; le jour au jour proclame la parole, la nuit à la nuit en transmet la connaissance " (Ps 18,2&endash;3). Y a-t-il quelque chose dans la nature qui ne nous révèle point la vérité éternelle ? Les jours et les nuits nous font entendre sa voix. La beauté des créatures qui sont sorties des Mains de Dieu ne cesse de rappeler à nos coeurs le souvenir du Créateur ; sa Puissance éternelle, ses Grandeurs invisibles se présentent à notre intelligence dans ses oeuvres admirables et nous montrent que ce n'est point à la créature, mais au Maître de l'univers que nous devons adresser nos hommages.
Lorsqu'on sait que l'abstinence détruit
tous les vices, qu'elle apaise la soif de l'avarice, disperse les
fumées de l'ambition et éteint le feu de la luxure, qui
ne comprend alors toute l'utilité du jeûne ?
Elle ne nous interdit pas seulement l'usage des viandes, elle nous
prescrit encore d'étouffer tous les désirs charnels. Il
est inutile de jeûner si l'on ne renonce à ses mauvaises
passions, et de se mortifier en se refusant l'usage des viandes sans
se défaire de l'habitude du péché. Le
jeûne est purement corporel et non spirituel, lorsqu'on
mortifie seulement son corps et qu'on persiste dans des vices qui
sont plus nuisibles que les délices de la nourriture. De quoi
sert à l'âme d'être maîtresse au-dehors et
d'être esclave au-dedans ? d'avoir un empire absolu
sur tous les membres, et de perdre sa propre
liberté ? Et souvent c'est avec justice qu'elle
perd sa puissance, parce qu'elle ne rend point à Dieu
l'hommage qui Lui est dû. Tandis que le corps fait abstinence,
il faut que l'âme se débarrasse de ses vices et qu'elle
soumette à la loi de son Maître ses passions terrestres.
Qu'elle se souvienne que Dieu doit tenir la première place
dans ses affections, et que la seconde appartient au prochain ;
et qu'elle tienne pour règle de tous ses mouvements et de
toutes ses inclinations, que jamais elle ne doit rien faire de
contraire au service de Dieu et aux intérêts du
prochain. Comment pourrons-nous honorer Dieu si sa Volonté
n'est point la règle de la nôtre ? si nous
n'obéissons avec une docilité parfaite à tous
ses commandements ? Si notre volonté est conforme
à la Sienne en toutes choses, Il fortifiera notre faiblesse et
Il nous confirmera par sa Grâce dans le désir que nous
avons de bien faire, que déjà nous tenons de Lui.
" Car c'est Dieu, dit l'Apôtre, qui produit en vous le
vouloir et le faire, selon son bon plaisir " (Ph 2,13).
L'homme, dans cet état, ne se laissera point emporter par la
vanité, ni abattre par le désespoir ; il se
servira, à la gloire de son Bienfaiteur, des présents
qu'il en aura reçus, et il s'abstiendra de former des
désirs qui pourrait lui être nuisibles. S'il sait fuir
la malignité de l'envie, la corruption de la luxure,
l'impétuosité de la colère et les désirs
de la vengeance, alors le jeûne achèvera de purifier son
âme et il goûtera les douceurs des voluptés
éternelles ; il se procurera des trésors
impérissables par le bon usage qu'il fera des richesses que
Dieu lui aura données, non pas en les tenant cachées
pour son propre usage, mais en les distribuant aux pauvres pour les
multiplier à l'infini. Je vous exhorte, mes frères,
avec toute la tendresse paternelle que j'ai pour vous, à
joindre l'aumône au jeûne du dixième mois, pour le
rendre plus méritoire, vous réjouissant de ce que le
Seigneur veut bien se servir de vous pour nourrir et vêtir ses
pauvres, à qui Il pourrait donner les richesses qu'Il vous a
accordées, si sa divine Providence ne voulait que vous vous
justifiassiez tous, eux par leur patience dans leurs travaux, et
vous, par votre charité envers eux. Nous jeûnerons le
mercredi et le vendredi, et le samedi nous célébrerons
les vigiles dans l'église du bienheureux apôtre Pierre
qui obtiendra, par son intercession, que nos jeûnes, nos
prières et nos aumônes soient agréables à
Dieu, par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ qui
vit et règne avec le Père et le saint Esprit, dans les
siècles des siècles.
Amen.